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Citation de Pasoa


Très tôt, j'ai commencé à aimer et tout aussi tôt j'ai visé très haut. Un seul chiffre suffisait encore à exprimer mon âge et déjà j'étais amoureux d'une reine. C'était - et ne riez pas de moi, géniale amie, car il y a en amour des choses autrement plus grotesques - la reine de cœur, l'une des quatre d'un jeu de tré-sept avec lequel ma grand-mère et les deux révérends nourris à sa grasse cuisine, se disputaient vespéralement leur cinquantaine de centimes. Lorsque pour la première fois - j'assistais habituellement au tournoi cartacé assis à un coin de table en dévorant des livres et du chocolat - cette Majesté bienveillante m'apparut sur le pré de feutre vert avec sa bonne face à la bonté rondouillarde et son cœur rougeoyant au coin de l'oreille gauche comme pour dire "les autres le portent dans la poitrine ; moi, sur le front" - chaste Suzanne au milieu des libidineux vieillards - je sentis dans mon sang cette bouffée de chaleur, cet aiguillon brûlant semblable au contact d'un charbon ardent, qui plus tard a toujours accompagné chez moi l'annonce d'un amour. Je pris alors l'habitude de m'asseoir aux côtés du joueur auquel la chance avait accordé ma reine et de rester là jusqu'à ce qu'il l’abandonnât sur le tapis vert et que je la visse ramassée et entassée avec les autres personnages - ô combien indignes. Et comme je lui souhaitais, alors, de passer des doigts noirs et boudinés - pieds à grand-peine déguisés - des deux prêtres, aux doigts fins , blancs et transparents de ma grand-mère ! Un soir, incapable de résister à la tentation, je la volai. Je me rappelle encore le battement accéléré de mon jeune cœur (sur lequel la reine reposait déjà) mais aussi l’impassibilité de mon regard, face à l'émotion suscitée, par la soudaine disparition de sa majesté, chez les trois joueurs penchés, un chandelier à la main pour la chercher entre leurs pieds et ceux de la table ; je me rappelle aussi mon soupir de soulagement et de joie, lorsque ma grand-mère, abandonnant ses recherches et ses espoirs, demanda au domestique de lui apporter un nouveau jeu de cartes. Ce fut là ma première conquête, une conquête en comparaison de laquelle rares sont celles dont je tirai le même orgueil.

Pp25-26,
Extrait de "Premier ciel, Mora" (Primo cielo, Mora).
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