LE LIEUTENANT.
Mais comment diable vous êtes-vous engagé à épouser une jeune personne avant de la voir.
LE MARQUIS.
Le comte Robert son père est un homme de la première distinction, très-riche, et n’a que cette fille pour héritière. Il a beaucoup de parents à Turin, une sœur à la cour, des biens en Piémont ; et mes amis ont cru faire pour le mieux en arrangeant ce mariage. J’y ai consenti, parce que j’ai cru y voir toutes les convenances requises.
LE LIEUTENANT.
Mais si par hasard elle ne vous plaisait pas ?
LE MARQUIS.
Que faire ? J’ai donné ma parole ; je ne l’épouserais pas moins.
LE LIEUTENANT.
Rien de mieux. Le mariage par lui-même n’est qu’un contrat ; mais quand l’amour s’en mêle, c’est quelque chose de plus.
LE MARQUIS.
Je ne serais pas fâché que l’amour s’en mêlât un peu.
LE LIEUTENANT.
Sans doute : pour votre propre intérêt cependant, je ne voudrais pas qu’il s’en mêlat trop. Je vous connais : vous êtes naturellement jaloux, quand vous aimez. Si vous aimez trop votre épouse, si elle vous plaît avec excès, vous serez dévoré d’inquiétudes.
LE MARQUIS.
À parler franchement, je ne sais si je préférerais une épouse aimable qui me donnerait un peu de jalousie, à une petite sotte qui me laisserait parfaitement tranquille.
LE LIEUTENANT.
Voulez-vous que je vous dise ce qui vaudrait le mieux ?
LE MARQUIS.
Oui : quelle serait votre opinion à cet égard ?
LE LIEUTENANT.
Mais de ne point se marier du tout. Si votre épouse est belle, elle plaira à trop de monde : si elle est laide au contraire, elle ne plaira ni aux autres ni à vous. Avec une laide, vous aurez le diable dans la maison : avec une belle, ce sera des légions de diables au dedans et au dehors de la maison.