AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de fanfan50


C'est cela que m'apprend la religion catholique : qu'il n'est pas bien d'être trop content de soi, qu'on est toujours puni, que la vanité, signe d'un vide de l'âme, finit toujours par se retourner contre soi en exposant ce vide à autrui. En sixième, j'ai pour sujet de rédaction : l'amitié. Il m'inspire, ce sujet. Un flot de mots s'écoule de moi presque sans que j'y pense. Rien d'inventé. Je raconte mes deux amitiés, celle qui m'a été imposée, celle que j'ai choisie : Laurence et Nathalie. Je les oppose en tout. J'y critique Laurence, son univers de petite fille gâtée. J'y décris et condamne toutes les mesquineries qui me choquent dans sa famille depuis des années : le chocolat donné avec parcimonie pour le goûter, deux carrés et pas plus (chez moi, on n'en donne pas du tout) ; l'interdiction de jouer librement dans sa chambre avec ses jouets, de peur qu'on dérange ; ses deux chambres, une pour dormir et l'autre pour jouer, alors que j'en ai une seule que je partage avec ma soeur, et ses dizaines de Barbie, d'habits et de chaussures de Barbie, ses maisons de Barbie et ses voitures de Barbie, alors que j'ai à peine une ou deux Barbie, mais qu'importe puisque je ne peux pas jouer librement chez elle où tout plaisir, donc est banni. A sa maniaquerie et son égoïsme j'oppose la liberté totale de Nathalie et la passion qui nous unit, celle d'inventer des histoires, de fabriquer des livres, de faire ensemble tout ce que nous voulons, et dont le désir nous vient en même temps. La vraie amie, écris-je, c'est celle qu'on a choisie, celle avec qui on partage les mêmes goûts.
Elle devait être bonne, ma rédaction : sensible, et convaincante. J'ai obtenu dix sur dix.Le professeur de français m'a félicitée publiquement. Je ne suis pas mécontente. Ce jour-là, entre deux cours, je travaille à la bibliothèque, quand Laurence se glisse près de moi.
"Je pourrais voir ta rédaction, Marie ?"
Sans réfléchir, fière de ma note et de mon travail, désireuse de l'impressionner, je lui remets mes six pages quadrillées. Elle lit, assise à côté de moi. Qu'est-ce qui m'alerte, alors que je suis concentrée sur mon propre travail ? L'imperceptible raidissement de son dos ? Le contenu de la rédaction qu'elle est en train de lire me revient soudain. Il est trop tard pour reprendre mes feuilles. Je transpire. Quand elle me rend mon devoir, son regard me fuit. Sa peau mate a pâli. Je me rends compte que mes mots lui ont enfoncé un poignard dans le dos.
"C'est bien écrit", dit-elle, l'air faux.
Tout aussi gênée, je réponds avec un faible sourire :
"Ce n'est pas toi, tu sais ! Je me suis juste inspirée, j'ai pris des détails."
Elle ne répond pas. Elle a un petit sourire crispé. Il n'y a rien à dire. Ma rédaction crie la vérité, et les détails ne trompent pas. C'est Laurence, sa mère, sa grand-mère, son caniche, sa maison, cette maison qui m'a accueillie sept années de suite, de mes trois ans à mes dix ans, la plus grande partie de ma vie, comme une deuxième fille, et dont je dis tout le mal possible. Laurence vient de lire que je ne l'aime pas, et que j'aime Nathalie.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}