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Citation de Coco574


Mes copains, tout comme leurs parents, pensent que la lune se perd pour de bon quand elle disparaît certaines nuits. Ils craignent la nuit noire et les ciels nus. À la nouvelle comme à la pleine lune, ils galopent à toutes jambes se mettre à l’abri, s’enfermant dans leurs maisons. Des maisons qui, pourtant, restent ouvertes la journée aux vents. La noirceur, selon eux, rend possible la rencontre avec les goubelins, esprits follets, farfadets et autres lutins. Sans compter les sorciers qui profitent de la nuit pour déposer leurs maléfices et envoûtent les personnes rencontrées. Mon père n’a peur de rien et nous transmet sa sérénité. L’absence de lune, au contraire, nous sort du « dedans ». Dehors, nous marchons dans ses pas, mes six frères et sœurs, main dans la main, à la découverte des cieux.
Ce père, proche du mètre quatre-vingts, assez grand pour l’époque, fin et nerveux, fatigué de ses visites à domicile, parfois, au temps des ciels clairs, aime parler à ses enfants des étoiles. Le ciel et ses chariots de lumière, notre télévision de l’époque, nous permet de ne jamais perdre le nord. Suivant la manière dont les étoiles se présentent, au fur et à mesure des saisons, il monologue sur le temps qui passe. Dans ses forêts lumineuses, parfois dans mes rêves, je marche à grands pas.
Le matin, à l’aube, le père tend sa montre, toujours mise à l’heure du soleil, l’heure naturelle donc. Il pointe la petite aiguille sur le soleil qui vient d’apparaître. Aidés d’une brindille, nous retrouvons le nord. Que de champs d’étoiles traversés en imaginaire et en réalité, grâce à ce ciel qui bouge, qui nous perd et nous retient à lui. Etoiles du printemps, étoiles de l’été, de l’automne et de l’hiver, et constellations. Les histoires et les corps des dragons, les aigles, les chevaux, les poissons, la baleine, ces signes du zodiaque, parcourus de génies, se transforment à une vitesse inimaginable devant nos yeux ébahis.
Et à nos pieds, les ronces, les buissons, les plantes, le bruit des animaux, toujours plus forts que nous, toujours plus vivants que nous, les hommes, frémissent. Ces plantes sauvages méprisées, les hommes du don les connaissent. Comme ces boqueteaux d’épines dans lesquels les fuyards se cachent, pour éviter d’être tués par la maréchaussée. Ces hommes comme mon père s’en servent et les transforment en tisanes miraculeuses.
Les pauvres, ces gens en sabots, ces résistants, veulent vivre. Ils se taisent, dissimulent les « renoueurs4 », pour ne pas avoir de problèmes. Nos clients camouflent notre nom et parfois même notre adresse. Guérir sans médecin paraît tellement louche. Anonyme, au fond, le rebouteux l’a toujours été. Je ne sais pas encore que devenir un rebouteux c’est choisir la bienveillance silencieuse du ciel.
Mon père, durant mon enfance, s’accroche à trois passions : ma mère, son métier et les étoiles ! Il unit, il vit l’ensemble, elles le rendent proche, je pense, de son frère décédé, réduit en cendres. Les étoiles contrent l’obscurité où veulent les enfouir les médecins, les diplômés, pour que des hommes comme lui disparaissent de nos bocages. Les médecins ont toujours voulu la disparition des soigneurs.
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