Et puis après tout ...ôter le masque pour m'étaler à la lumière et leur faire voir
à tous, cette souffrance que je tais , peut-être par pudeur , peut-être par délicatesse , et au fond, pourquoi la tairai-je cette démence remisée au fond de mon silence ?
Je parle, je me sens bien . Je raconte une anecdote . Je crois en l'écoute des deux personnes qui m'accompagnent. Soudain, au milieu d'une phrase , me tournant le dos, l'une s'adresse à l'autre, sans plus s'occuper de moi. Étrange impression d'avoir parlé dans le vide, scène souvent vécue chez les malentendentants . Je me suis reculé pour voir si mon recul serait remarqué.
L'arrêt brutal de ma phrase n'a pas été entendu et mon absence encore moins.
Je suis fatiguée de devoir comprendre , de devoir répondre, mon langage se perd. Je me sens humiliée à vous regarder les lèvres, à vous former tant les mots, je sens toute abêtie . Toute anecdote perd de son intérêt. Je suis fatiguée de vos yeux inquisiteurs, de vos remarques, de vos encouragements.
Je rêve, je m'invente des chutes d'eau, des froissements d'ailes, des cris perçants d'oiseaux éperdus, colorés de pastels. Je m'invente des crissements de pas sur des graviers, des clapotis de pluie, des foules bruyantes toutes activées
de commérages.
Je vis, je respire, j'invente, je m'éclate enfin, j'aime. Mon enfant danse dans mon sein. Ma fille remplace tous les chants de la terre...
Je demande enfin et simplement un sursis
Août 81, Décembre 83.
Des sons toujours emplissent mes oreilles et s'amplifient dans toute ma tête, incessants, ils ne m'appartiennent pas et je n'ai hélas aucun pouvoir sur eux.
Et puis des mains s'occupent de mon corps, elles m'obligent au réveil : empreinte pour embout, délicatesse des gestes, prothèse essayée , monde à l'envers , Je sais que tout est vain. Désespoir, je glisse en sens inverse. J'ai droit à une surdité profonde , la correction n'existe pas encore vraiment et ne peut de toute façon réellement se faire qu'avec une perception des sons aigus . Je nage dans les graves. Tout est loin, très loin...et le vacarme de mon oreille domine tous ces sons filtrés au-travers du coton. ....Je sens de nouveau les larmes sur les joues. " Oui,mais des sons vous parviennent , et c'est cela l'essentiel...Vous apprendrez, vous verrez, vous ferez la lecture labiale..."
La surdité peut conduire au ridicule si on ne s'impose pas .
Reprise avec ma vie propre, oublie de ma douleur, j'ai réussi en surmontant mon obsession, en bravant mon silence et en puisant résolument chaque jour davantage dans le puits de mon acharnement , à refaire surface par ma peinture, à donner une autre image de moi , en refusant l'étiquette que l'on avait placée d'office, et en atteignant enfin ma revalorisation.
Je veux ENTENDRE, Je veux de la MUSIQUE. Allongée sur mon lit, je le crie, je le hurle. je m'en déchire le cerveau . J'ai un besoin fou, un besoin physique de me rendre l'audition. Besoin de me griffer le visage, de me cogner la tête aux murs, de me creuser davantage, pour me prouver mon existence ...