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Citation de MegGomar


Dans l’appartement familial, les femmes menaient leur commedia
dell’arte, avec ses composantes de ruse mise en œuvre par ma tante et
d’ingéniosité incarnée par ma mère. Ma cousine était plus naïve. La petite
fille et la femme malheureuse se côtoyaient en elle. Ces comédiennes, à la
gestuelle étudiée, brodaient leurs pièces à partir de tableaux successifs qui
auraient pu s’intituler, à la façon de romans-photos : « Dépit amoureux »,
« Regrets d’une époque révolue » ou « Salon d’essayage ». Car en
définitive, il était toujours question de vêtements. Chaque fois, ces femmes
se déguisaient. À l’évidence, elles avaient eu leur moment de gloire, de
triomphe, même. Elles ne s’en vantaient pas hors du petit cercle, mais je le
percevais sans en connaître le détail.
Dans ces rituels matinaux, la maîtresse de cérémonie était
incontestablement ma mère, sorte de Madame Loyal. À la fois cerveau et
bras armé, elle « tenait » les siennes. Ses trois parentes ne pouvaient se
passer d’elle mais, en retour, l’obligeaient à rester à sa place. De cette
éternelle répétition, Lucie semblait penser : « Chiqué ! Surjoué ! Toujours
les mêmes têtes, toujours les mêmes histoires. Je serais bien mieux en train
de lire. » Parfois, je l’entendais soupirer.
« Mais je la connais, moi, ta mère ! On ne me la fait pas, à moi », me
répétait en aparté ma tante, de façon grandiloquente, sans vouloir en dire
davantage, s’accroupissant pour remettre droites les franges du tapis, afin
de mieux les lisser du plat de la main, en mouillant son index de salive.
Ces femmes parlaient leur langage. Elles s’exprimaient parfois d’un mot
ou d’un segment de phrase qui leur était manifestement intelligible, mais
me donnaient l’impression de me dissimuler des choses. Il y avait d’autres
explications que je n’arrivais pas à saisir ni à comprendre. Visiblement, des
souvenirs en commun les liaient, au point de se les remémorer chaque jour
à demi-mot dans leur comité restreint. Elles étaient en ligne directe avec
leur passé.
Ces femmes me fascinaient car elles semblaient avoir des droits sur ma
mère, qui présentait devant elles un autre visage. Elle n’était plus tant
l’épouse et la mère de famille que l’une des leurs. J’avais l’impression
qu’une face d’elle-même m’échappait.
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