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Citations de Cécile Desprairies (96)


Epuration judiciaire - page 104

Le clan est saisi d'effroi par les procès qui se poursuivent et les listes des condamnés lues dans le journal. Le premier fusillé, un ami journaliste, Georges Suarez, le 9 novembre 1944, les a sidérées. Puis, Jean Hérold-Paquis, exécuté le 11 octobre 1945. S'attaquer à des journalistes et à un type de trente-trois ans - sept ans de plus que Lucie - les salauds ! Et Jean Luchaire qui dirigeait la corporation de la presse. Personne ne savait exactement ce qu'elle recouvrait cette corporation mais il avait un beau carnet d'adresses. Un type un peu coureur mais si gentil. Fusillé le 22 février 1946. Sa fille doit être dans tous ses états. Les salauds ! Et maintenant Jean Mamy, journaliste et réalisateur, une relation de Zizi qui avait promis de la faire travailler. Que va-t-elle devenir ? "Jean Ma-my!" psalmodie Zizi, perdue, elle qui a toujours été entourée et choyée, dépendante des hommes et de l'argent. "Mais Lu-cie?"
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Page 107

Heureusement, l'Espagne de Franco est un lieu d'accueil. Il paraît que Bonnard, l'ancien ministre de l'Education, organise même à Madrid des tournois de tennis avec ses compatriotes. Sacré Abel. "L'Abel et l'Abetz", comme les surnommait mon grand-oncle Raphaël. Où mène l'Instruction publique.
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En attendant, les Allemands ne peuvent plus se passer de « Luzie ». Elle est même qualifiée de « Leni Riefenstahl de l'affiche » ! C'est un honneur. Lucie s'efforce de ressembler en tout point à son aînée. De plus, Leni est une proche du Führer. Leni et Luzie !
(…)
Les Allemands ont sumommé la jeune femme die Propagandistin, la propagandiste. Son esprit pragmatique et son sens des priorités la guident. Elle est partout.
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Leur correspondance amoureuse aussi est étonnante. Elle contient, côté Friedrich, rédigée à la façon du Sturm und Drang, ce mouvement allemand précurseur du romantisme, le compte rendu exalté de ses lectures mais aussi le récit des dernières expérimentations sur ses rongeurs.

Il a ses « cobayes du bas » (signe féminin), ses « cobayes du haut » (signe masculin) auxquels il applique des « tests de Zondek », par des injections d'urine. Friedrich n'est pas du genre à avoir des maîtresses. Ses maîtresses sont ses souris et il est davantage question d'euthanasie, de mitose et de méiose, de dissection et de follicule que de mots tendres, car le devoir appelle à une cause supérieure et Friedrich a la science romantique.

De toute façon, les souris, les juifs, les rats, c'est un peu la même chose à ses yeux, et il évoque avec une gourmandise effrayante les deux rongeuses jumelles dont il dispose en ce moment, prêtes pour l'expérimentation, la démonstration, et l'au-delà.
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Avec aisance, Lucie est ainsi passée du magazine nazi Signal au magazine américain Life. Elle s'y connaît en agitprop, alors poser façon New Look en Miss Dior n'est pas trop difficile. Lucie est en terrain connu. Elle a, en bonne propagandiste, étudié la concurrence. Le magazine nazi Signal qu'elle a fait sien, né en 1940, a été directement inspire du confrère américain Life, créé quatre ans plus tôt. On y repère le même cadrage de photos en pleine page, souvent en couleurs, la même typographie des légendes en police Futura - Lucie apprécie en connaisseuse la lisibilité des petites capitales grasses que son oncle Gaston lui a appris à reconnaître - et les mêmes reportages sensationnels, avec exploits sportifs, goût des cimes, approche dangereuse et même mort en direct, faits par des inconnus sur des inconnus qui deviennent « héros d'un jour ». L'esprit pionnier du magazine américain est le sien, à une idéologie près. Ces Américains sont tellement persuadés d'avoir raison. Laissons-les le croire.
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À toi de combler les blancs, donner du sens, lier les événements, au-delà de ce qui a été. C’est ton héritage, la part qui t’échoit, tu n’en auras pas d’autre.
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Plus tard, quand, adulte et devenue historienne, je ferai mes recherches pour comprendre ce qu'il en a été, j'apprendrai que cet onde avait été une connaissance d'Otto Abetz, l'ambassadeur à Paris du Reich (prononcé par la tribu « Rèche »). Il était aussi un proche de Jean Luchaire, qui dirigeait la puissante Corporation nationale de la presse. Bien qu'il ait été au départ « socialiste », l'oncle journaliste, efficace et discret, avait contribué à influencer l'opinion publique française, en instillant les visées des nouveaux maîtres, dosant l'antisémitisme en fonction du support auquel il collaborait. De son « grand journal » aux hebdomadaires Gringoire et Je suis partout, en passant par la version française du magazine Signal, l'éventail était large. Mieux encore, il était devenu patron de presse. À la mi-juin 1940, dans un Paris occupé et désert, l'oncle avait saisi sa chance. Les « autorités allemandes » l'avaient nommé directeur de la rédaction du « grand journal », en remplacement de Lazareff, contraint à l'exil.
(…)
Le « grand journal » était resté populaire. Gaston n'avait pas oublié d'où il venait. De toute façon, dans le qualificatif « national-socialiste », il y avait bien le mot « socialiste », non ? En somme, lui, le fervent républicain, avait glissé. Après tout, Lavai lui aussi avait commencé à la SFIO.

Oui, grâce à ses réseaux, le grand journal avait réparu très vite. L'agence d'information était allemande, et alors ? Il y avait toujours moyen de s'entendre avec la censure. Si les autres journaux étaient vendus avec des « blancs », parfois même des articles vides au beau milieu de la page, ils n'avaient à s'en prendre qu'à eux-mêmes. Gaston avait tout déjoué. La censure. Le papier. La distribution.
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De toute façon, soigner les malades ne l'intéresse pas. Aux êtres humains, il préfère leurs tissus. En bon national socialiste, il adhère à toutes ses thèses et fait en sorte de les propager autour de lui : allégeance à la foi germanique, à la tradition, à l'héroïsme et à la connaissance de la nature. Il emploie sans cesse des mots nouveaux dont Lucie tâche très vite de trouver le sens, à l'aide de l'étymologie. Holistique, du grec holos, un tout. Elle comprend que le Volk est primordial : seul le peuple est à même de fonder le droit et la norme, dictés par l'âme du peuple. On est socialiste dans la famille - du moins, on l'a été. C'est pourquoi les proverbes et coutumes sont si importants. Ils peuvent permettre de codifier un droit conforme à la race.
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Le darwinisme social aussi parle à Lucie, car toute vie est combat, elle le sait bien, et les vices sont héréditaires. Elle l’a vu, enfant, avec les vaches et les poules. On lui avait montré dans un pré un veau à cinq pattes dont le membre surnuméraire, à la façon d'une queue, était attaché sur le dos de l'animal. Encore une anomalie génétique. Que laissait-on vivre ce veau, inutile jusque pour lui-même ? L'environnement social et familial n'y est pour rien. Un veau est un veau.

D'une manière générale, il faut lutter contre les asociaux. II y a assez d'alcooliques et de feignants comme ça. Lucie aime bien ce terme d'« asocial » ; la société de citoyens et d'individus n'est pas tenable, seul compte le groupe, un groupe homogène, bien sûr.
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Depuis quelques temps, Lucie, qui n'a que vingt-quatre ans, adopte un style à la Goebbels : fanatique, exalté mais maîtrisé. La moindre prise de parole est conçue comme un évènement d'une intensité dramatique hors du commun, quelque part entre la transe et l'extase.
P. 156
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En revanche, on ne mentionnait pas que les pourvoyeuses juives, même adultes étaient orphelines.Leurs parents étaient morts, mais comment ? Quand j'insistais, j'obtenais: " morts-en-déportation", terme qui restait pour moi assez vague, à mi- chemin entre " départ" et " transport". Vers où ? Et pourquoi morts ? Ma mère fit une longue réponse que je compris quasiment pas.Cette information administrative, froide, sonnait comme une évidence. C'était, semble-t-il, la place des juifs.Et les juifs, c'étaient les juifs.
Il n'était bien sûr pas fait mention de " génocide " ou de " shoah", termes que j'ai appris dans les livres.Ces femmes disaient " la guerre", comme si ce terme générique suffisait à rendre compte des existences particulières.
Aussi la fonction de cette Martine était-elle naturellement d'être prodigue.De toute façon, c'était le rôle des juifs: donner, se séparer de leurs biens.

( p.28)
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Lucie aussi est grande, svelte et forcément déjà blonde, à la chevelure de plus en plus claire au fur et à mesure de la progression de l'armée allemande.

( p.47)
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Plus tard, je comprendrai que le jaune est la couleur attribuée aux juifs depuis le Moyen-âge et par la propagande, la couleur de la rouelle comme celle de l'étoile distinctive.Ainsi le " Cahier jaune", c'est un peu comme le Code noir, sous Louis XIV. Un " Cahier jaune" concernant les " jaunes ", avec un
" j " pour des juifs que l'on ne nomme même pas, de la même façon qu'il y a eu un Code noir concernant les Noirs.

( p.70)
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La " Propaganda" a un intitulé programmatique, une sorte d'activité contradictoire qui mêle dans une même fonction la censure, l'information et la publicité.(...)
Lucie doit créer des affiches " françaises ", tout en restant dans la ligne demandée par la
" Propaganda".Un vrai travail d'interprète : produire des propos français à partir de données allemandes. (...)
Lucie fait de l'antibolchevique,de l'antimaçonnique, de l'anti- juif, de l'anti-anglais, de l'anti tout ce qu'on veut, et ses affiches sont acceptées. Elle devine ce qui va " passer" et ce qui ne passera pas.


( p.73)
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Plus tard, je comprendrai que le jaune est la couleur attribuée aux juifs depuis le Moyen-Âge et par la propagande, la couleur de la rouelle comme celle de l'étoile distinctive.
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En 1948, revenue à Paris, Lucie trouve le clan recasé, pour ainsi dire recyclé dans la grande lessive qui suit la Libération. Ses oncles sont désormais installés dans leur nouvelle vie à la blancheur Persil.L'honneur de la famille est sauf.

( p.107)
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A les écouter, le monde de "l'Occupation" avait été une sorte de conte de fées. Elles répétaient de façon énigmatique : "On n'est pas passé à côté ". J'ai mis des années à comprendre ce que signifiait cette expression.
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« Allons voir la brocanteuse. » Lucie et Mme Blau font comme si elles
ne se connaissaient pas, mais je sens bien que ce sont des connaissances
d’« autrefois ». La brocanteuse appartient à une famille de ferrailleurs
alsaciens, mais pas des « malgré-nous », disséminés dans les villages des
bords de la rivière voisine. Ce sont en quelque sorte les « nouveaux
ferrailleurs ». Avec sa démarche incertaine et sa voix pâteuse (blau ne
signifie-t-il pas en allemand « soûl »), la brocanteuse dispose d’un stock qui
paraît inépuisable. Ma mère est à son affaire, à l’aise dans les négociations.
Elle repart dans sa 2CV, fière de sa dernière acquisition, ses enfants à ses
basques. Mme Blau, elle, fourre les quelques billets dans sa poche-tablier et
boit au goulot du whisky derrière ses clients, la bouche sèche, en réprimant
la grimace des alcooliques.
Pour quelle raison est-elle si bien approvisionnée dans cette campagne
viticole caillouteuse ? Ces nombreuses petites lunettes d’ivoire de
l’Exposition universelle à Paris de 1900, montées en bijou, d’où viennent-
elles ? L’album de collection de cartes postales anciennes aux tendres
messages, à qui ? Ces plaques entières d’insignes de décorations civiles et
militaires de tous ordres, tirées de quelle enseigne ?
Beaucoup plus tard, je saurai que, à partir de 1942, dans le cadre de
l’Opération meubles (Möbel Aktion), des wagons entiers de biens volés aux
juifs ont été transportés de Paris en Allemagne, mais aussi dans la ville
voisine, et acheminés dans les grandes carrières des environs, pour y être
mis à l’abri. Deux décennies après, les biens ont été peu à peu extraits de
leurs cachettes puis écoulés auprès de marchands peu regardants sur leur
provenance. Qui les reconnaîtrait ici ? Qui viendrait les réclamer ? Ces
biens peuvent être vendus pour à peu près rien, puisqu’il n’y a pas eu de
frais lors de l’achat.
Lucie négocie d’autant plus âprement qu’elle sait pertinemment que
Blau n’ajoutera pas le prix de revient. Pourquoi cette Mme Blau serait-elle
la seule à en profiter ? Alors, on partage les bénéfices. Lucie a droit à sa
part de gâteau, elle peut bien recueillir les fruits de son travail. Si Blau a
tout ça, après tout, c’est grâce à elle. Vous êtes mon obligée ! Et c’est
comme si Mme Blau le savait.
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Le clan est saisi d’effroi par les procès qui se poursuivent et les listes des condamnés lues dans le journal. Le premier fusillé, un ami journaliste, Georges Suarez, le 9 novembre 1944, les a sidérées. Puis Jean Hérold-Paquis, exécuté le 11 octobre 1945. S’attaquer à des journalistes, et à un type de trente-trois ans – sept ans seulement de plus que Lucie, les salauds ! Et Jean Luchaire, qui dirigeait la corporation de la presse. Personne ne savait exactement ce qu’elle recouvrait, cette corporation, mais il avait un beau carnet d’adresses. Un type un peu coureur mais si gentil. Fusillé le 22 février 1946. Sa fille doit être dans tous ses états. Les salauds ! Et maintenant Jean Mamy, journaliste et réalisateur, une relation de Zizi, qui avait promis de la faire travailler. Que va-t-elle devenir ? « Jean Ma-my ! » psalmodie Zizi, perdue, elle qui a toujours été entourée et choyée, dépendante des hommes et de l’argent. « Mais Lu-cie ? »
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Avec aisance, Lucie est ainsi passée du magazine nazi Signal au magazine américain Life. Elle s’y connaît en agitprop, alors poser façon New Look en Miss Dior n’est pas trop difficile. Lucie est en terrain connu. Elle a, en bonne propagandiste, étudié la concurrence. Le magazine nazi Signal qu’elle a fait sien, né en 1940, a été directement inspiré du confrère américain Life, créé quatre ans plus tôt. On y repère le même cadrage de photos en pleine page, souvent en couleurs, la même typographie des légendes en police Futura – Lucie apprécie en connaisseuse la lisibilité des petites capitales grasses que son oncle Gaston lui a appris à reconnaître – et les mêmes reportages sensationnels, avec exploits sportifs, goût des cimes, approche dangereuse et même mort en direct, faits par des inconnus sur des inconnus qui deviennent « héros d’un jour ». L’esprit pionnier du magazine américain est le sien, à une idéologie près. Ces Américains sont tellement persuadés d’avoir raison. Laissons-les le croire.
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Elle sait sûrement qu'elle a tout perdu mais n'en accepte pas l'idée. Seul le déni lui reste.
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