Après le départ des femmes, dans les heures creuses de la journée, ma
mère me faisait réciter les verbes irréguliers allemands. Backen, buk,
gebacken, cuire au four. « Encore. C’est bien, tu les sais maintenant. »
« Brême, Hambourg, Stettin ; la Weser, l’Elbe et l’Oder. » Je devais répéter
après elle, comme une ritournelle, les villes et les fleuves allemands – sans
pouvoir les localiser. J’apprenais les lois de Mendel. Gènes dominants et
récessifs. Les forts et les faibles. L’exemple des yeux bleus. Si on les a
bleus, on n’a pas de « gène » brun caché.
C’était la part qui m’était échue, mon legs. Ma mère vantait sans cesse
mon « intelligence », m’encourageant, sans explications. C’était comme si
elle me signifiait : « Tu vas trouver toute seule, même si je ne peux pas te
dire quoi. » Pendant ces années, j’ai l’impression d’avoir eu un âge stable,
dans ma chemise de nuit blanche en broderie anglaise à collerette. Assise,
j’aimais respirer mes genoux sous la protection du vêtement. J’observais.