Chantal Motard

Avant de les écrire
je veux vivre tous les mots
les flatter les sentir les malmener aussi
de mes gestes
je veux les crever
faire éclater tous leurs sens
en tuer quelques-uns
en inventer d’autres qui me mettront au monde
après
après seulement
nos amours s’aimeront

Mes amours traînent les rues

entre deux portes claquées
jour contre jour
pour un billet que je n’aurai qu’après

mes amours traînent les rues

elles arrivent en retard
elles guettent sous les tables
elles espèrent le geste

mes amours traînent les rues

elles s’écrivent sans pronom
ne portent pas de titre
ne s’inscrivent nulle part

à mes dépens
mes amours se font vivre

Qu’importe si ma bouche refuse
d’être l’écho de la tienne
mon regard suffit
à remplir le silence
entre tes mots

On ne tue pas le temps
impunément
sans qu’il ne lui vienne
un jour
le goût de se venger

Écrire pour rester morte
aux jours insignifiants
écrire pour diviser l’absence
en pages noires
écrire sans espoir
car les désespérés avancent
elles aussi

Au hasard de tes yeux
de ma voix qui fait peur
sur un pied mal posé
je refais l’univers
en passant par ton corps

Je ris sur ta peau
que j’avais prise pour la mienne
tout bas
pour ne pas l’effaroucher