Devenir veuf l’avait forcé à vivre une existence pleine et significative. Il avait longtemps été comme le sable blond des plages qui s’offre avec légèreté au vent qui fait de lui ce qu’il veut, le trimballe de lieu en lieu et le fait tourbillonner à sa guise au creux du premier trou venu.
Au fond de lui, il sait que son frère est coupable, et cela seul compte. C’est sûr qu’il a commis ces vols, qu’il a cassé des gueules, et qu’il a peut-être même tué ces bums, volontairement ou non. Trop de choses lui ont manqué pour faire sa vie comme du monde. Ses frères, eux, y réussissent un peu mieux parce qu’ils arrivent à se faire des accroires, à calmer la rage, à intégrer juste ce qu’il faut de superficiel à leur existence pour la tolérer jusqu’à ce qu’ils meurent, ils arrivent à oublier même ce qui ne s’oublie pas vraiment, mais Carl, lui, non, il n’y arrive pas. Il a trop soif de vrai. Ça l’a mené à sa perte, ce goût qu’il a pour l’intensité, pour l’émotion pleine, pour l’adrénaline.
Mais les hommes ont pas le talent qu’on a nous autres les femmes pour survivre au malheur pis à la solitude. Y’ont pas l’amour des choses simples : la couture, la cuisine, les enfants pis les petits-enfants, pis même le ménage… Les hommes, y font pas de jasette de corde à linge quand y se ramassent tu-seuls. Y s’enferment dans leur cuisine ou dans leur salon, avec leur bière, pis le soir, y tournent dans leur maison comme des lions en cage, pis y’a plus aucune saison qui les sauve.
Chacun sait qu’instinctivement le corps cherche la caresse. Même le brin d’herbe, l’insignifiant brin d’herbe, fléchit sous les doigts du vent.
Marc est éboueur. Un peu comme les forts vents, il prend ce que les gens laissent là et il l’emporte ailleurs. Ce métier lui plaît, même s’il fait fuir toutes les jolies filles qui en viennent à s’intéresser à lui. Dès qu’elles apprennent ce qu’il fait pour vivre, elles tournent les talons, la mine dégoûtée comme si elles venaient de croquer un fruit gâté.
Quand à 16 ans on se fait prendre à vendre de la drogue aux jeunes de secondaire un à la polyvalente, c’est rare que ça pardonne. Habituellement, ça se termine par des vacances prolongées au Centre d’accueil et alors on remercie Dieu, les saints et tous les petits esprits qui flottent autour de n’avoir que 16 ans parce que ouf ! on l’a échappé belle.
Elle avait la pommette fière et haute, la lèvre gourmande, faite pour les sourires, les baisers, les rires et l’amour. Elle avait des yeux bruns pétillants d’où perçait une clarté solaire, et dans ses gestes se lisait comme une danse perpétuelle ; même lorsqu’il était au repos, le corps de Marielle semblait en attente du prochain mouvement.
En général, les gens arrivent à se souvenir très précisément de leur enfance et des moments qui l’ont marquée : les Noëls en famille, la première bicyclette, les petites querelles entre amis, les randonnées en forêt, les récréations dans la cour d’école et, aussi, les blessures qui ont inscrit des marques sur leur corps adulte.
Quand on y pense très très fort et très très souvent, nos petites inquiétudes arrivent à occuper toute la place, elles deviennent comme ces ballons de fête qu’on souffle encore et encore et qui finissent par tout soustraire à notre vue, jusqu’à ce qu’ils nous éclatent en pleine figure.
Quand il lui arrivait de briser une pâte ou de rater une sauce, elle se concentrait très fort et arrivait parfois à se convaincre que c’était là le seul malheur qui l’affligeait. Mais elle savait au fond d’elle que parfois, la vie, c’est un sucre à la crème qui ne prend pas.