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Citation de Partemps


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Au milieu de ce marivaudage sentimental, la confiance était venue et avait en effet uni les mains des deux personnages ; si bien qu’après quelques hésitations et quelques pruderies qui semblèrent de bon augure à Samuel, madame de Cosmelly à son tour lui fit ses confidences et commença ainsi :

— Je comprends, monsieur, tout ce qu’une âme poétique peut souffrir de cet isolement, et combien une ambition de cœur comme la vôtre doit se vite consumer dans sa solitude ; mais vos douleurs, qui n’appartiennent qu’à vous, viennent, autant que j’ai pu le démêler sous la pompe de vos paroles, de besoins bizarres toujours insatisfaits et presque impossibles à satisfaire. Vous souffrez, il est vrai ; mais il se peut que votre souffrance fasse votre grandeur et qu’elle vous soit aussi nécessaire qu’à d’autres le bonheur. — Maintenant, daignerez-vous écouter, et sympathiser avec des chagrins plus faciles à comprendre, — une douleur de province ? J’attends de vous, monsieur Cramer, de vous, le savant, l’homme d’esprit, les conseils et peut-être les secours d’un ami.

Vous savez qu’au temps où vous m’avez connue, j’étais une bonne petite fille, un peu rêveuse déjà comme vous, mais timide et fort obéissante ; que je me regardais moins souvent que vous dans la glace, et que j’hésitais toujours à manger ou à mettre dans mes poches les pêches et le raisin que vous alliez hardiment voler pour moi dans le verger de nos voisins. Je ne trouvais jamais un plaisir vraiment agréable et complet qu’autant qu’il fût permis, et j’aimais bien mieux embrasser un beau garçon comme vous devant ma vieille tante qu’au milieu des champs. La coquetterie et le soin que toute fille à marier doit avoir de sa personne ne me sont venus que tard. Quand j’ai su à peu près chanter une romance au piano, on m’a habillée avec plus de recherche, on m’a forcée à me tenir droite ; on m’a fait faire de la gymnastique, et l’on m’a défendu de gâter mes mains à planter des fleurs ou à élever des oiseaux. Il me fut permis de lire autre chose que Berquin, et je fus menée en grande toilette au théâtre de l’endroit voir de mauvais opéras. Quand M. de Cosmelly vint au château, je me pris tout d’abord pour lui d’une amitié vive ; comparant sa jeunesse florissante avec la vieillesse un peu grondeuse de ma tante, je lui trouvai de plus l’air noble, honnête, et il usait avec moi de la galanterie la plus respectueuse. Puis on citait de lui les traits les plus beaux : un bras cassé en duel pour un ami un peu poltron qui lui avait confié l’honneur de sa sœur, des sommes énormes prêtées à d’anciens camarades sans fortune ; que sais-je, moi ? il avait avec tout le monde un air de commandement à la fois affable et irrésistible, qui me dompta moi-même. Comment avait-il vécu avant de mener auprès de nous la vie de château ; avait-il connu d’autres plaisirs que de chasser avec moi ou de chanter de vertueuses romances sur mon mauvais piano ; avait-il eu des maîtresses ? Je n’en savais rien, et je ne songeais pas à m’en informer. Je me mis à l’aimer avec toute la crédulité d’une jeune fille qui n’a pas eu le temps de comparer, et je l’épousai, — ce qui fit à ma tante le plus grand plaisir. Quand je fus sa femme devant la religion et devant la loi, je l’aimai encore plus. — Je l’aimai beaucoup trop, sans doute. Avais-je tort, avais-je raison ? qui peut le savoir ? J’ai été heureuse de cet amour, j’ai eu tort d’ignorer qu’il pût être troublé. — Le connaissais-je bien avant de l’épouser ? Non, sans doute ; mais il semble qu’on ne peut pas plus accuser une honnête fille qui veut se marier de faire un choix imprudent, qu’une femme perdue de prendre un amant ignoble. L’une et l’autre, — malheureuses que nous sommes ! — sont également ignorantes. Il manque à ces malheureuses victimes, qu’on nomme filles à marier, une honteuse éducation, je veux dire la connaissance des vices d’un homme. Je voudrais que chacune de ces pauvres petites, avant de subir le lien conjugal, pût entendre dans un lieu secret, et sans être vue, deux hommes causer entre eux des choses de la vie, et surtout des femmes. Après cette première et redoutable épreuve, elles pourraient se livrer avec moins de danger aux chances terribles du mariage, connaissant le fort et le faible de leurs futurs tyrans.

Samuel ne savait pas au juste où cette charmante victime en voulait venir ; mais il commençait à trouver qu’elle parlait beaucoup trop de son mari pour une femme désillusionnée.

Après avoir fait une pause de quelques minutes, comme si elle craignait d’aborder l’endroit funeste, elle reprit ainsi :

— Un jour, M. de Cosmelly voulut revenir à Paris ; il fallait que je brillasse dans mon jour et que je fusse encadrée selon mes mérites. Une femme belle et instruite, disait-il, se doit à Paris. Il faut qu’elle sache poser devant le monde et faire tomber quelques-uns de ses rayons sur son mari. — Une femme qui a l’esprit noble et du bon sens sait qu’elle n’a de gloire à attendre ici-bas qu’autant qu’elle fait une partie de la gloire de son compagnon de voyage, qu’elle sert les vertus de son mari, et surtout qu’elle n’obtient de respect qu’autant qu’elle le fait respecter. — Sans doute, c’était le moyen le plus simple et le plus sûr pour se faire obéir presque avec joie ; savoir que mes efforts et mon obéissance m’embelliraient à ses yeux, à coup sûr, il n’en fallait pas tant pour me décider à aborder ce terrible Paris, dont j’avais instinctivement peur, et dont le noir et éblouissant fantôme dressé à l’horizon de mes rêves faisait se serrer mon pauvre cœur de fiancée. — C’était donc là, à l’entendre, le vrai motif de notre voyage. La vanité d’un mari fait la vertu d’une femme amoureuse. Peut-être se mentait-il à lui-même avec une sorte de bonne foi, et rusait-il avec sa conscience sans trop s’en apercevoir. — À Paris, nous eûmes des jours réservés pour des intimes, dont M. de Cosmelly s’ennuya à la longue, comme il s’était ennuyé de sa femme. Peut-être s’était-il un peu dégoûté d’elle, parce qu’elle avait trop d’amour ; elle mettait tout son cœur en avant. Il se dégoûta de ses amis par la raison contraire. Ils n’avaient rien à lui offrir que les plaisirs monotones des conversations où la passion n’a aucune part. Dès lors, son activité prit une autre direction. Après les amis vinrent les chevaux et le jeu. Le bourdonnement du monde, la vue de ceux qui étaient restés sans entraves et qui lui racontaient sans cesse les souvenirs d’une jeunesse folle et occupée, l’arrachèrent au coin du feu et aux longues causeries. Lui, qui n’avait jamais eu d’autre affaire que son cœur, il eut des affaires. Riche et sans profession, il sut se créer une foule d’occupations remuantes et frivoles qui remplissaient tout son temps ; les questions conjugales : « — Où vas-tu ? — À quelle heure te reverra-t-on ? — Reviens vite, » il fallut les refouler au fond de ma poitrine ; car la vie anglaise, — cette mort du cœur, — la vie des clubs et des cercles, l’absorba tout entier. — Le soin exclusif de sa personne et le dandysme qu’il affecta me choquèrent tout d’abord ; il est évident que je n’en étais pas l’objet. Je voulus faire comme lui, être plus que belle, c’est-à-dire coquette, coquette pour lui, comme il l’était pour le monde ; autrefois j’offrais tout, je donnais tout, je voulus désormais me faire prier. Je voulais ranimer les cendres de mon bonheur éteint, en les agitant et en les retournant ; mais il paraît que je suis bien malhabile à la ruse et bien gauche au vice ; il ne daigna pas s’en apercevoir. — Ma tante, cruelle comme toutes les femmes vieilles et envieuses, qui sont réduites à admirer un spectacle où jadis elles furent actrices, et à contempler les jouissances qu’on leur refuse, eut grand soin de me faire savoir, par l’entremise intéressée d’un cousin de M. de Cosmelly, qu’il s’était épris d’une fille de théâtre fort en vogue. Je me fis conduire dans tous les spectacles, et toute femme un peu belle que je voyais entrer en scène, je tremblais d’admirer en elle ma rivale. Enfin j’appris, par une charité du même cousin, que c’était la Fanfarlo, une danseuse aussi bête que belle, — Vous qui êtes auteur, vous la connaissez sans doute. — Je ne suis pas très-vaniteuse ni très-fière de ma figure ; mais, je vous jure, monsieur Cramer, que maintes fois, la nuit, vers trois ou quatre heures du matin, fatiguée d’attendre mon mari, les yeux rouges de larmes et d’insomnies, après avoir fait de longues et suppliantes prières pour son retour à la fidélité et au devoir, j’ai demandé à Dieu, à ma conscience, à mon miroir, si j’étais aussi belle que cette misérable Fanfarlo. Mon miroir et ma conscience m’ont répondu : Oui. Dieu m’a défendu de m’en glorifier, mais non d’en tirer une légitime victoire. Pourquoi donc entre deux beautés égales, les hommes préfèrent-ils souvent la fleur que tout le monde a respirée, à celle qui s’est toujours gardée des passants dans les allées les plus obscures du jardin conjugal ? Pourquoi donc les femmes prodigues de leur corps, trésor dont un seul sultan doit avoir la clef, possèdent-elles plus d’adorateurs que nous autres, malheureuses martyres d’un amour unique ? De quel charme si magique le vice auréole-t-il certaines créatures ? Quel aspect gauche et repoussant leur vertu donne-t-elle à certaines autres ? Répondez donc, vous qui, par état, devez connaître tous les sentiments de la vie et leurs raisons diverses !

Samuel n’eut pas le temps de répondre, car elle continua ardemment :

— M. de Cosmelly a des choses bien graves sur la conscience, si la perte d’une âme jeune et vierge intéresse le Dieu qui la créa pour le bonheur d’une autre. Si M. de Cosmelly mourait ce soir même, il aurait bien des pardons à implorer ; car il a, par sa faute, enseigné à sa femme d’affreux sentiments, la haine, la défiance de l’objet aimé et la soif de la vengeance. —
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