Citations de Charles de Saint-Évremont (23)
PASSER QUELQUES HEURES À LIRE
À Mademoiselle de Lenclos
Passer quelques heures à lire,
Est mon plus doux amusement ;
Je me fais un plaisir d’écrire,
Et non pas un attachement.
Je perds le goût de la satire :
L’art de louer malignement
Cède au secret de pouvoir dire
Des vérités obligeamment.
Je vis éloigné de la France,
Sans besoin et sans abondance,
Content d’un vulgaire destin.
J’aime la vertu sans rudesse,
J’aime le plaisir sans mollesse :
J’aime la vie et n’en crains pas la fin.
les courtes absences animent les passions , au lieu que les longues les font mourir .
Il y a bien moins d'ingrats qu'on ne croit; car il y a bien moins de généreux qu'on ne pense.
On dit souvent aux autres sans nécessité ce qui serait important de se dire à soi-même.
Prenez soin de notre langage,
Auteurs polis et curieux,
Et nous laisser le doux usage
D'un vin frais et délicieux.
Que d'Apollon la docte troupe
Vieillisse à réformer les mots ;
Celle de Bacchus, dans la coupe,
Ira chercher sa joie et trouver le repos.
Il sied bien à un homme, qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a été. Je ne l'ai pu faire jusqu'ici ; au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la mémoire de ma vivacité passée, je tâche d'animer la langueur de mes vieux jours. Ce que je trouve le plus fâcheux à mon âge, c'est que l'espérance est perdue ; l'espérance, qui est la plus douce des passions, et celle qui contribue davantage à nous faire vivre agréablement. Désespérer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine : il faut se contenter de vous écrire quelquefois, pour entretenir une amitié qui a résisté à la longueur du temps, à l'éloignement des lieux, et à la froideur ordinaire de la vieillesse. Ce dernier mot me regarde ; la nature commencera par vous à faire qu'il est possible de ne vieillir pas.
in De M. de Saint-Évremond à Mlle de L'Enclos (janvier ou février 1693)
p. 57
Les amants et les joueurs ont quelque chose de semblable : qui a aimé, aimera. Si l'on m'avait dit que vous êtes dévote, je l'aurais pu croire. C'est passer d'une passion humaine à l'amour de Dieu, et donner à son âme de l'occupation ; mais ne pas aimer est une espèce de néant qui ne peut convenir à votre cœur.
in De M. Saint-Évremond à Mlle de L'Enclos (décembre 1692)
p. 55
Si c'est un esprit particulier qui nous distingue, il n'est pas impossible d'en former un général qui nous réunisse.
On doit bien souhaiter d'être d'une humeur commode, quand ce ne serait que pour vivre agréablement avec soi-même. Car lorsqu'on s'abandonne aux caprices de son chagrin, on ne s'en défait pas comme on veut, et on souffre justement ce que l'on fait souffrir aux autres.
Il ne faut pas rejeter tous les méchants conseils, de peur de rebuter les personnes qui pourraient nous en donner de bons.
On trouve d'illustres scélérats, mais il ne fut jamais d'illustres avares.
Dieu n'a pas voulu que nous fussions assez parfaits pour être toujours aimables, pourquoi voulons-nous être toujours aimés?
Nous avons plus d'intérêt à jouir du monde, qu'à le connaître.
La santé comme la fortune retirent leurs faveurs à ceux qui en abusent.
Mais vous avez grand tort, impudente jeunesse,
De vous railler ainsi d'une docte vieillesse.
Il y a cela de malheureux dans le mérite de l'esprit, que peu de gens s'y connaissent, et que dans le petit nombre même il s'en trouve qui n'en font pas grand cas. Il n'en est pas de même des richesses, tout le monde les estime, les pauvres aussi bien que les riches. Les autres biens de la fortune ont le même avantage : Les petits compagnons estiment la grandeur, et font ce qu'ils peuvent pour s'élever.
On dit souvent aux autres sans nécessité ce qui serait important de se dire à soi-même.
On ne saurait devenir habile ni agréable, si l'on n'aime la lecture; sans cela le plus beau naturel est ordinairement sec et stérile.
« On tire plus de services par les promesses que par les présents »
« Les occasions ne rendent pas un homme faible mais elles font découvrir sa faiblesse. »