« L'aménagement d'un vaisseau cuirassé témoigne à certains égards d'une prodigieuse intelligence. Puissantes machines, télégraphies sans fil, canons énormes pourvus de poudres savantes, forces électriques régissant tout le mécanisme, salons luxueux, bibliothèques choisies, hydravions rapides ! C'est parfait. L'ingénieuse disposition de toutes les parties du bâtiment permet de faire voguer sans péril, en toutes les mers, toutes les merveilles de la civilisation accumulées en un étroit espace. Oui ! c'est beau, et j'admire ! Mais bientôt, quand je réfléchis, mon admiration s'évanouit. Elle s'évanouit même si bien qu'il n'en reste plus de trace. Car enfin quelle est la destination de ce magnifique appareil ? Détruire un autre appareil analogue. Alors à quoi bon ? »
L'homme stupide
[La métapsychique est] une science qui a pour objet des phénomènes mécaniques ou psychologiques dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des puissances inconnues latentes dans l’intelligence humaine.
Tout ce qu'il y a eu d'intelligence, d'énergie, de courage, a été presque exclusivement consacré à la guerre. La science n'a eu que des restes. Quelle erreur abominable ! Quelle monstrueuse incompréhension des choses! Imaginons par la pensée qu'au lieu de ces gigantesques machines guerrières, qui sont nos sociétés actuelles, consumant à des oeuvres de mort notre travail et notre activité, il se soit constitué des sociétés pacifiques, ayant pour souci la recherche des causes, résolues à approfondir toutes études physiques, chimiques, physiologiques, médicales, sociales, est-ce qu'alors l'aspect du monde ne serait pas tout autre? presque un paradis à côte de notre enfer ?
Il importe maintenant de définir la métapsychique.
Ce qui caractérise le fait métapsychique, quel qu'il soit, c'est qu'il semble dû à une intelligence inconnue (humaine ou non humaine). Dans la nature nous ne voyons d'intelligence que chez les êtres vivants : chez l'homme, nous ne voyons d'autre source de connaissance que par les sens. Nous laissons à la psychologie (classique) l'étude de l'intelligence des animaux et de l'homme. Les phénomènes métapsychiques sont autres : ils paraissent dus à des forces intelligentes inconnues, en comprenant dans ces intelligences inconnues les étonnants phénomènes intellectuels de nos inconsciences.
On s'étonnera sans doute qu'en comparant l'animal à l'homme je trouve constamment l'animal moins stupide. Et, en effet, à un premier examen superficiel, on serait tenté de croire que l'intelligence de l'homme est incomparablement supérieure à celle de l'animal.
Mais il faut s'entendre. Stupidité ne veut pas dire qu'on n'a pas compris, mais qu'on agit comme si l'on n'avait pas compris.
Eh bien ! si tu n'es pas curieux, je le serai pour toi et je tâcherai, sans vaines phrases, de voir si notre existence, notre chétive et fugitive existence, a un but; si nous avons un; rôle à jouer, quelque minuscule qu'il soit, dans le Vaste Kosmos. Tout est possible !
Savoir ce qui est bien et faire ce qui est mal ; s'infliger de la douleur en sachant qu'on va s'infliger de la douleur; connaître la cause du malheur et se précipiter sur cette cause, c'est être stupide. Passe encore quand on est victime d'une aveugle passion ; car la passion est un torrent qui entraîne tout. Mais, quand on va droitement au malheur, pour obéir à des préjugés, des erreurs, des raisonnements défectueux et baroques, on est inexcusable. Mieux vaut être dépourvu d'intelligence que d'en faire un si déplorable usage.
Notre intelligence routinière est ainsi faite qu'elle se refuse à admettre ce qui est inhabituel. Et, en effet, à bien examiner les faits qui nous entourent, il faudrait se contenter de dire : il y en a d'habituels, il y en a d'inhabituels. Nous ne devrions rien dire de plus. Surtout il faudrait se garder de faire deux classes de faits : ceux qui sont compris, et ceux qui ne sont pas compris. Car en vérité nous n'avons rien compris, absolument rien, à aucune des grandes ou petites vérités de la science.
La métapsychique peut donc se définir : une science qui a pour objet des phénomènes, mécaniques ou psychologiques, dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des puissances inconnues latentes dans l'intelligence humaine.
C'est donc une science profondément mystérieuse encore. Son mystère même fait qu'il faut en aborder l'étude avec une prudence scientifique extrême.
Le fils d'un roi, le fils d'un gentilhomme, le fils d'un riche, n'ont encore donné, quand ils sont dans le ventre maternel, ou même dans le maillot de leur nourrice, aucune preuve de supériorité. Quelque large part qu'on accorde à l'hérédité de l'intelligence, on ne pourra attribuer qu'une mince supériorité au fils du gentilhomme et au fils du milliardaire, sur le fils du laboureur ou le fils du loqueteux. C'est violer outrageusement la bonne et due justice que de mettre entre les deux fœtus un fossé profond, de donner tout à l'un et rien à l'autre.