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Citation de DanyPerr


Ce qu’il nous est permis d’espérer, notre « horizon des possibles », est un fait social. C’est un imaginaire que l’on partage, un héritage commun. Dans nos régimes politiques libéraux, les bornes de cet imaginaire ne sont pas fixes. Elles ne cessent d’évoluer en fonction d’un ensemble de facteurs (l’état des connaissances, les avancées de la science, la législation, etc.). C’est peut-être la plus belle promesse de l’État de droit : celle de nous laisser libres de repousser éternellement les frontières de l’espoir.

Pour la démocratie libérale, la société « juste » est celle qui permet aux hommes d’espérer le plus possible. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les régimes occidentaux ont juridiquement entériné l’idée qu’une société juste était nécessairement conditionnée à la garantie d’un certain confort économique, que l’espoir ne pouvait naître dans la misère. La satisfaction d’un certain nombre de besoins matériels est devenue un droit fondamental , l’État-providence s’est érigé en Europe comme une barrière contre la précarité morale et matérielle : c’est ce que l’on a appelé la « démocratie de marché ».
Celle-ci fait des institutions politiques les garants d’un cadre moral, au sein duquel le marché, la science, tous les produits de l’ingéniosité et de l’entreprise individuelle peuvent éclore et fructifier librement au nom du progrès et du bien commun. Ainsi, la démocratie de marché de l’après-guerre a fait le pari que la croissance et le progrès technologique élargiraient tant les frontières de l’espoir qu’ils suffiraient à combler l’existence des hommes, et que ceux-ci trouveraient dans l’amélioration de leurs conditions et la jouissance privée de leurs biens assez de plaisir, et assez de sens, pour être définitivement détournés des tentations offertes par les projets politiques concurrents et autoritaires.

Ce pari a fonctionné à merveille. Sûrs d’avoir trouvé la solution à la misère humaine, certains ont cru un instant à la fin de l’Histoire . Jamais la science, la technologie, l’industrie, n’avaient autant participé à l’accomplissement des idéaux démocratiques et du progrès social. Les technologies numériques ont joué dans cette dynamique un rôle essentiel. Incarnant à la fois la puissance novatrice du marché libre et l’esprit des Lumières, elles ont été célébrées, de la guerre froide aux printemps arabes, comme les véhicules de choix des grands idéaux démocratiques et libéraux de l’Occident . Du micro-ordinateur au premier iPod, de Facebook aux derniers objets connectés, les innovations numériques ont offert aux individus des espaces inespérés, démultiplié l’horizon des possibles. En somme, elles ont été pour la démocratie de marché ce que l’électricité a été à la société industrielle : à la fois un point de culmination et un révélateur spectaculaire. Comme les visiteurs de l’Exposition universelle de 1889 qui s’émerveillaient devant « l’orgie de lumière » du Champ-de-Mars et voyaient dans la « magie » de l’électricité le triomphe étincelant de leur civilisation et la preuve de son indéniable supériorité , la « société des individus » a trouvé dans le numérique une forme de consécration.

Mais le vent a fini par tourner.La mécanique vertueuse par laquelle l’industrie techno-scientifique participait à la croissance économique, au progrès social et à l’accomplissement des idéaux démocratiques s’est rouillée. À mesure que la liste des « risques » inhérents aux technologies numériques s’est allongée, l’équation entre progrès techno-scientifique et progrès social est devenue de moins en moins évidente. Pire : il semblerait désormais que la technologie numérique ne participe plus à la « vie bonne » promise par les démocraties de marché de l’après-guerre, mais qu’au contraire elle la déséquilibre... Ce ne sont d’ailleurs pas les techno-sceptiques qui le disent, mais les Nations Unies qui exigent aujourd’hui un moratoire sur l’intelligence artificielle pour juger des « risques graves » qu’elle pose aux droits humains .

C’est la « crise de la vérité » liée aux fake news qui a marqué une véritable rupture, et donné à cette dissociation entre horizon techno-scientifique et horizon moral de la démocratie libérale un caractère indéniable.
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