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Citation de Aquilon62


Rome, 20 juillet 1458

Indifférent, très haut, le soleil de midi cristallisait la lumière en une permanence irréelle aux ombres rares. Le temps était comme prisonnier de cet éclairage solennel et limpide qui suspendait toute forme de vie dans une éternité immobile, habitée non plus par des êtres humains, mais par des sculptures géométriques d’une perfection abstraite, idéale.
Piero eut un hochement de satisfaction. Voilà exactement l’effet qu’il avait recherché. Depuis des semaines il rajoutait glacis sur glacis pour faire vibrer les variétés de lumière, et rendre toujours plus évanescentes des ombres qui transparaissaient à peine, avec leurs fines nuances de terre verte. Il était sur la bonne voie, même s’il y avait encore de l’ouvrage. Il sentait que le cardinal Bessarione avait quelque peine à dissimuler son impatience, mais il savait aussi que le prélat n’oserait jamais le presser. Aucun des deux n’ignorait que l’importance de ce tableau allait très au-delà de ce qu’il était censé figurer. Cependant, Piero ne laissait jamais sortir de ses mains une œuvre qui ne fût parfaite.
Bessarione était à Rome où il attendait la suite des événements. Un mal soudain avait frappé le pape, et le consumait rapidement. Le nouveau conclave allait peut-être s’ouvrir bientôt. Raison pour laquelle le cardinal avait appelé Piero à ses côtés, et comptait sur lui pour mener à son terme la mission à ses yeux la plus importante. Conscient de la responsabilité dont il se trouvait investi, l’artiste s’était immédiatement enfermé dans la grande salle donnant sur la terrasse ; en dépit d’une chaleur étouffante, il y travaillait jour et nuit, avec l’aide d’un assistant pour la préparation des couleurs.
Poussant ses regards au-delà des quatre arcs en plein cintre, il vit qu’un coup de vent secouait les hautes frondaisons d’un Pinus pinea. Il s’essuya le front et posa son pinceau. Il avait besoin d’une courte pause. Mais il fut accueilli dehors par la gifle brûlante du sirocco. Il n’y avait aucune échappatoire à l’enfer de cet été torride qui martyrisait l’Urbs, et qui avait réduit le Tibre à un simple ruisseau. Voilà deux ou trois jours, Piero était tombé le long des berges sur des carcasses d’animaux, et l’on aurait dit que leur odeur lui parvenait encore à plus d’un mille de distance. Si la sécheresse venait à se prolonger, on pourrait craindre une épidémie. Mais personne ne semblait encore s’en soucier. Dans la ville paralysée par l’attente, tous les yeux se fixaient sur le Vatican.

(INCIPIT)
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