Ces chimères ne sont pas monstrueuses. La chimère des origines est née des dieux et non des hommes, lion par-devant, dragon par l’arrière, et chèvre par le milieu du corps. Elle crachait le feu et dévorait les humains. Mais c’est de l’histoire ancienne, Bellérophon chevauchant Pégase : son coursier ailé a fini par la tuer mais il n’a pas éradiqué le principe qui la meut, et c’est ça qui nous intéresse : les rêves, les fantasmes, les utopies impossibles. Ces utopies chimériques, il faut les nourrir car elles sont souvent affamées, pas toujours contentes et souvent exigeantes comme un animal un peu trop gâté. Pour les faire grimper dans votre arche personnelle, vous les nourrissez de conversations. Elles peuplent la Mare Imaginalis, "cette mer imaginaire sur laquelle vogue l’être humain et qui de siècle en siècle, et quels que soient les lieux et les époques, demeure le lien fondamental de nos consciences" (Adrien Salvat).
Le futur, ce sont des ondes de choc émises ici et là, hier et aujourd’hui, peut-être demain (si on pense que le futur influence le présent et je pense que, oui, le futur qu’on imaginer influence le présent qu’on vit – c’est l’objet même de ce livre). Ces ondes nous rejaillissent dessus. On peut en ressentir les effets ou les deviner. La meilleure façon d’en parler, c’est de descendre sur l’aire de jeu et de plonger dans la mêlée. Mes notes de voyages sont pleines des histoires qu’on m’a racontées : des légendes qui se murmurent, des fantasmes qui se divulguent. Une grosse masse d’imaginaires flotte sur nos têtes, nous surplombant avec bienveillance ou nous menaçant de biais. Ils indiquent des changements de temps sociétaux. Le lecteur doit s’attendre à ce que les règles académiques ne soient guère respectées. La prospective est une discipline facétieuse et nous sommes les parents indignes du futur.