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Critiques de Christine Bergé (2)
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La Peau : Totem et tabou

Dans ce bref essai paru au sein de la bien nommée collection Borderline, Christine Bergé, anthropologue et philosophe, s'interroge sur la peau, la peau humaine, fragile enveloppe porteuse de significations multiples. La pensée de l'auteure, souvent complexe, entraîne le lecteur dans une promenade thématique qui traverse le temps, l'espace et lie en un va-et-vient constant le physique et le psychique.

Christine Bergé a choisi d'aborder son sujet à travers quatre objets phares, étudiés successivement et de manière autonome. Chacune des sections ainsi constituées offre une foule d'informations et de pistes de réflexion, rendant ces quelque 80 pages plus fertiles qu'on eût pu le croire de prime abord.



La suite de la critique est à lire sur mon blog !
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L'écorchement, tome 1 : Limite et transgression

Christine Bergé, dont j’avais beaucoup aimé Peau. Totem et tabou, a entrepris une « petite histoire de l’écorchement ». Les deux premiers volumes ont paru, aux Éditions du murmure, et j’en dirai ici quelques mots.

Une histoire de l’écorchement, voilà qui est pour le moins intrigant. L’objet est vaste, aux dimensions du monde et de l’histoire. L’auteure, bien entendu, ne prétend pas tout dire sur cette pratique, son symbolisme, ses modalités d’une civilisation à l’autre ; elle n’en aborde pas moins de multiples sphères culturelles, au risque, peut-être, d’égarer le lecteur parmi tous ces noms d’empires, de souverains, de territoires. Le format de l’essai étant bref, on survole de multiples choses sans pouvoir bien les pénétrer. Cependant, c’est aussi, une invitation à aller par soi-même voir plus en détail ce qu’il en est.

Au commencement de cette histoire était l’écorchement de Marsyas. Révision pour ceux qui ont oublié leur mythologie grecque : jaloux du talent de musicien du satyre Marsyas, compagnon de Dionysos, capable d’envoûter tout et tout le monde avec sa flûte, Apollon l’affronte en duel. La lyre solaire l’emporte et le dieu, vindicatif, décide de châtier le satyre, coupable d’hubris (il a osé défier une divinité), en l’écorchant vif. Ceci rappellera à chacun qu’Apollon, dieu de la musique, des arts, de l’harmonie, etc., n’est pas un beau gosse inoffensif ; c’est aussi un dieu meurtrier, ambigu, qui « se maintient au-delà de l’interdit et du permis, du pur et de l’impur, du fécond et du stérile » (p. 34-35). Le passage relatif à cette facette du dieu et de sa sœur Artémis est particulièrement intéressant.

À partir de cet acte rituel originel, l’auteure déroule les possibles significations du mythe et ses résurgences dans l’histoire de l’art. Puis, bondissant par-dessus les siècles et l’océan, elle nous conduit en Mésoamérique, chez les Aztèques et les Toltèques. Ah ! quel bonheur de renouer avec mes chers peuples précolombiens ! Là, on adore le dieu Xipe Totec, dont le nom signifie en nahuatl « seigneur des écorchés » ou « notre seigneur l’écorché ». S’appuyant sur les ressemblances entre sa mythologie et celle de Marsyas, Christine Bergé ouvre une fenêtre sur de très anciennes pratiques cultuelles. Elle analyse le sacrifice sous l’angle de la transgression (des limites territoriales, artistiques, entre le sacré et le profane) et du retournement, omniprésent dans les mythes grecs, auxquels elle revient, pour fouiller plus profondément sous la peau des mythes : "Ce qui m’apparaît intrigant est cette zone de recouvrement perpétuel entre Apollon et Dionysos en ce qui concerne l’oscillation mort/résurrection, l’attente ardente du renouveau printanier et le déchirement des chairs […] Il me semble que ces dieux gardent la trace d’une quasi-gémellité, dont Marsyas serait le point de suture possible." (p. 40)

Nouveau saut dans le temps et l’espace, nous voici chez les Mésopotamiens, les Assyriens, les Scythes. En quelques pages et quelques citations, quelques descriptions d’œuvres aussi, l’auteure nous immerge dans un univers de violences signifiantes, indissociables du pouvoir, de la suprématie, de la conquête. Ainsi de ces citations relatives à l’écrasement d’une révolte par le roi assyrien Assurnasirpal II (884-859 av. notre ère) : "J’en tuai un sur deux. Je bâtis un mur devant les portes de la ville. J’écorchai les chefs de la révolte et je recouvris ce mur avec leur peau. Quelques-uns furent murés vifs dans la maçonnerie. [...] J’assemblai leurs têtes en forme de couronnes, et les cadavres transpercés en forme de guirlandes." (p. 60)

Tout cela est passionnant mais s’apparente ici à une ébauche, brossée à grands traits, et le lecteur peine un peu à s’y retrouver. Heureusement, le second volume reprend cette étude. Il revient, comme son titre l’indique, plus précisément sur le rôle symbolique, politique et culturel de l’écorchement dans la guerre. Pour ce faire, l’auteure envisage de nouveau deux univers très différents : le Moyen-Orient antique et la Mésoamérique préhispanique.

On apprend notamment qu’il existait chez les Assyriens une véritable « comptabilité de la terreur » (expression de Pascal Butterlin), avec des supplices rationalisés et mis en scène. Dans cette civilisation, l’écorchement, comme la décapitation, le démembrement ou l’empalement, relève d’une technique de démoralisation de l’ennemi. La cruauté généralisée, sans bornes, sert la propagande, si l’on peut dire. Cela trouve aujourd’hui une triste résonance…

Chez les anciens Perses, l’écorchement semble davantage lié à l’affirmation du pouvoir royal. On en use pour décourager toute rébellion, ou pour assouvir des vengeances privées. La mise en scène du supplice perdure, ce que condamnent leurs contemporains Grecs. Non que ceux-ci soient de doux agneaux : ils commettent également des actes de violence, et même de cruauté, en temps de guerre, mais ils voient dans celles perpétrées par les Perses la marque de l’hubris, un débordement coupable ; « barbare » en somme.

Christine Bergé insiste ensuite sur les affrontements ultérieurs entre les Perses et les Romains, et notamment sur le cas de Valérien, dont certaines sources rapportent qu’il fut écorché et sa peau, teinte en pourpre (pour moquer la pourpre impériale), exposée. Ce qui, reconnaissons-le, devait faire son effet.

Sans transition, nous retournons ensuite en Mésoamérique. Là aussi, on le sait, l’écorchement joue un rôle majeur dans la religion et le pouvoir. L’auteure, approfondissant ce qui a été dit dans le précédent volume, se livre à une réflexion mêlant histoire, anthropologie et sémiologie, et s’applique à décrypter les couches de sens associées à l’écorchement rituel. « Polariser l’attention sur le geste d’écorchement nous permettra de montrer l’emboîtement de différentes “peaux” symboliques associant étroitement la guerre et le sacré. La notion de “dette” est le pivot de cette dynamique d’échanges entre les niveaux cosmologique, sociologique, politique et psycho-corporel. » (p. 54) Le dieu aztèque s’incarne dans la peau humaine prélevée sur la victime sacrificielle, le temps du rite, avant de s’en retourner dans son monde. L’analyse montre en outre combien guerre et sexualité sont liées dans la symbolique sacrificielle aztèque.

D’une civilisation à l’autre, l’écorchement apparaît ainsi comme une pratique bien plus complexe qu’on aurait pu l’imaginer de prime abord, qui recouvre tous les champs de la vie sociale (rapports entre humains, rapport aux dieux, rapport aux territoires…). « Je veux, par ces exemples, montrer que l’ensemble des traitements symboliques de la peau célèbre trois actes (faire les hommes, faire les dieux, faire les territoires). » (p. 79) On est loin de l’abat-jour en peau humaine d’Ed Gein…



Bien que parfois confuse pour le lecteur (on a le sentiment d’une recherche en cours, non encore organisée, d’où les curieux effets de retour en arrière entre le deuxième et le premier volume, par exemple), cette petite histoire de l’écorchement attise la curiosité. Vivement le troisième volume !
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