Plus tard, il dîne d’une escalope viennoise escortée d’une Erdäpfelsalat dans un restaurant pour petits budgets, et conclue par une Topfentorte où l’onctuosité le dispute à l’épaisseur. Puis il se dirige vers l’auberge de jeunesse de la Haunspergasse. Sur une colonne Morris, une affiche annonce un concert de Cecilia Bartoli qui chantera demain soir un florilège d’arias de Puccini, une autre la venue de Carlos Santana. Les tarifs sont dissuasifs. Les rues reprennent leur souffle, il sent toujours sous ses pas le chant de la Terre, relayé par le vent, une ébullition secrète qui diffuse ses harmonies, rend toute chose mélodieuse et ronde. Il entend le concert digestif de son estomac rassasié. Ici, même ce qu’on mange a l’air d’avoir été composé.
Les musiciens sont fascinés : cette oreille rare, cette oreille d’or qui ferait pâlir d’envie tous les sous-mariniers des grandes puissances militaires, peut les aider à progresser en suivant ses conseils. Mieux encore : cette oreille absolue, rouée à tous les styles et à tous les genres, capable de déceler les points forts mais aussi les faiblesses et les insuffisances, apte à évaluer la pureté de la voix, la qualité du son instrumental, la valeur d’un nouvel opus et l’originalité mélodique d’un album présenté en concert, tient lieu de référence, toutes générations et toutes tendances confondues.
⸻ Se fatiguer de Richard Strauss et de ses Quatre derniers Lieder, impossible.
⸻ C’est peut-être les quatre derniers, mais on n’en voit jamais la fin, dit-elle en sirotant son pernod.