Aujourd'hui, cette même modalité de construction de soi se poursuit dans les échanges en lignes ou la mise en place d'un "réseau d'amis", et est considéré comme un des supports de l'identité. Lire, ainsi qu'interagir, échanger, communiquer, diffuser, fait partie des moyens d'être présent dans la société actuelle.
Car, dans l'évolution des pratiques de lecture se reflète l'évolution de la société tout entière dans son rapport à l'information et à la connaissance.
-De la lecture culturelle à la lecture dynamique
Pour Petrucci (2001), ce n’est pas d’une évolution qu’il s’agit, mais d’une « dissolution » de la lecture tout au long du xxe siècle : « La situation actuelle semble donc présenter des symptômes de dissolution marquée de “l’ordre de la lecture”, propre à la culture écrite occidentale, qu’il s’agisse du répertoire des textes, de leur usage et de leur conservation. » Selon lui, les nouvelles pratiques de lecture « s’incarnent dans “la figure du lecteur anarchique”, jusqu’ici présente seulement chez les jeunes, mais qui est destinée à se multiplier et deviendra probablement le modèle dominant dans un avenir proche. » C’est précisément l’objet de cet ouvrage de montrer qu’émerge tout au long du xxe siècle une nouvelle compétence de lecture, un nouveau rapport aux textes et à la connaissance, et que vont se développer de nouvelles pratiques de lecture, à la fois fonctionnelles, instruments ou intermédiaires d’une interaction dynamique entre les lecteurs et les textes. (p. 19)
-La connaissance amplifiée par les technologies
Les ordinateurs ont changé d’une manière sans doute irréversible notre conception de nous-mêmes, de la pensée humaine, et de ce que signifie penser. Pour le psychologue américain Jérôme Bruner, qui a été l’un des pionniers de la psychologie cognitive, il y a retour en arrière lorsque l’intérêt se déplace « de la signification à l’information, et de la construction de la signification au traitement de l’information » (1991). Il y a effectivement régression si partout, le calcul tend à remplacer l’interprétation comme processus de base explicatif du fonctionnement de l’esprit humain. L’un est basé sur l’application d’algorithmes alors que l’autre est centré sur les significations culturellement enracinées et socialement négociées. Est-ce que la connaissance numérique va dans le sens d’un appauvrissement comme le dénoncent certains sociologues, ou est-ce que les outils numériques de la connaissance vont libérer des espaces temporels pour des processus de pensée encore plus profonds et plus féconds ? Ce sont ces enjeux qui vont définir l’avenir de la lecture dans un monde numérique. (p.35)
(Introduction)