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Citation de Cielvariable


La « chose sans nom » que je suis survit ainsi pendant cinq semaines. C’est le père qui doit murmurer son nom à l’oreille de son enfant. Et Meyyan ne revient toujours pas de la ville, où il cherche du travail.

Ce matin-là, comme chaque matin, les jérémiades de mon cousin Selvin sortent ma mère du doux rêve où elle et mon père étaient réunis. Le fils de la maison a beau avoir cinq ans passés, il pleurniche toujours en se réveillant, au lieu de gazouiller. Il attend qu’on le nourrisse, comme ces oisillons devenus gros et gras qui ne se décident pas à voler de leurs propres ailes. Tante cobra l’élève ainsi. Elle ne le laisse pas faire un pas tout seul. Elle le bourre de gâteaux dès qu’il pousse un grognement.

Ma mère se lève malgré sa fatigue. Une fois debout, elle est prise de vertige. Elle doit rester immobile le temps que le sol cesse de tanguer sous ses pieds. Ses nuits sont courtes. Elle ne dort que d’un œil ; dès que je remue, elle me donne le sein. Ainsi je n’ai pas le temps de pleurer et d’attirer sur nous la colère de tante cobra.

Ma mère roule la natte qui lui sert de lit. Après une rapide toilette, elle prend une bouse pétrie et séchée sur la pile de celles que nous récupérons de nos buffles. Elle allume le feu, pose sur le fourneau la bouilloire de fer-blanc.

Elle tend un biberon rempli de lait à Selvin, qui l’attrape avidement. Assurée de quelques minutes de répit, Dayita se dirige vers le coin de la puja.

Là, dans une niche creusée dans le mur de terre, se tiennent les dieux de l’autel familial. Durga, la déesse du Foyer, Shiva, que ma tante invoque le plus volontiers, Ganapati, l’enfant dieu à tête d’éléphant…

La préférée de ma mère est Sarasvati, la déesse des Arts. Ma mère dépose à ses pieds la plus jolie des fleurs cueillies au jardin.

À l’école de chant, autrefois, elle la priait avec ses amies. Ces dernières lui ont offert sa statuette quand ma mère est partie vivre dans la famille de Meyyan.

– Ainsi, chaque fois que tu feras la puja, tu penseras à nous !

« Oh oui, je pense à vous, mes chères amies, songe ma mère en s’inclinant devant la déesse, les mains jointes sur le front. Mais aujourd’hui, vous me paraissez si loin ! Est-ce que je vous reverrai un jour ?… »

Les larmes lui montent aux yeux. Quelle mine feraient ses amies en la voyant, elle autrefois si gracieuse et coquette, le corps décharné dans ce sari défraîchi, la peau terne, les cheveux rêches!
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