Arrondis donc ton cœur et tes lèvres, dis oui de toute la puissance de ta volonté — et tu verras alors se fermer et se former l’anneau nuptial du devenir et du retour. L’anneau qui consacre les noces du temps et de l’éternité.
Mais non ! On aurait tort de croire que la vieillesse n’est qu’un lent pourrissement de la maturité. Elle est aussi, de l’existence, une étape à part entière, un âge sui generis qui a ses difficultés, certes, et aussi ses valeurs propres… Une nouvelle et dernière chance à saisir, en somme. Tous les liens, déjà, se détachent progressivement, laissant du fait même une liberté sans précédent ni concession. Tout ce qui s’était fait (en force souvent, en plis contractés et en raideurs acquises) se défait insensiblement, sans qu’il s’agisse pour autant d’une défaite, ou d’une débâcle, plutôt d’un dépouillement en vue d’une mue décisive. Non pas un effondrement, mais une sorte de traversée… Tout le passé a été récapitulé ; chaîne immémoriale au bout de son dernier maillon, il se tient là, comme une éternité impassible témoin ironique de l’éphémère effervescence. Non, il n’y a plus rien à retenir, larguez les amarres, mais vive la métamorphose !
Saturne est plus radical, qui demande de choisir entre le temps et l’éternité. Ou, plus exactement, parce que l’homme n’est qu’un mortel, de choisir, dans le temps — on ne saurait s’y soustraire — la division ou la synthèse ; la violence ou la plénitude ; la faux de la mort en train de remplir les charniers de l’Europe ou la faucille qui moissonne et qui vendange, afin d’engranger encore et toujours, dans ce monde qui finira bien par sortir un jour de la guerre, de nouvelles récoltes de paix et de beauté… Temps ennemi, qui coupe, divise et sépare. Temps allié et secourable, qui serre les liens et réconcilie. Temps pulvérisé, qui passe en mitraille sur les champs de bataille ; ou temps apaisé, qui plane sur les cimaises des musées et les rayons des bibliothèques, comme une image mobile de l’éternité.