AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Claude Guillaumaud-Pujol (5)


Claude Guillaumaud-Pujol
La peine de mort en question

Propos recueillis par Agnès Kerr
2013-06-10 17:07:00

Militante contre la peine de mort, Claude Guillaumaud-Pujol a été maître de conférence, spécialiste de civilisation américaine à l’université de Clermont-Ferrand. Auteure de Mumia Abu-Jamal, un homme libre dans le couloir de la mort et de Prison de femmes, Janine, Janet et Debbie, une histoire américaine, elle a participé au colloque organisé par l'université DePaul et le service culturel du consulat de France à Chicago en avril, lors de la parution en français et en anglais des deux séminaires de Jacques Derrida sur la peine de mort. A l'occasion du 5e Congrès mondial contre la peine de mort qui s'ouvre à Madrid le 12 juin, elle revient sur le système judiciaire et carcéral aux Etats-Unis.





France-Amérique : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser au système pénal et carcéral américain ?

Claude Guillaumaud-Pujol : En 1990, j’ai été invitée à séjourner à l’université Temple de Philadelphie dans le cadre d’une bourse Fulbright destinée aux enseignants. Avec mes collègues étrangers, nous nous sommes trouvés en plein ghetto noir, à North Philadelphia, dans un environnement auquel nous n’étions pas du tout préparés. C’est-à-dire un quartier enclavé, extrêmement paupérisé, aux services publics et communautaires inexistants, où les adolescents livrés à eux-mêmes ont souvent pour seul avenir la prison pour les garçons, les grossesses précoces ou la prostitution pour les filles, et dont le quotidien est rythmé quotidiennement par les coups de feu et les brutalités policières.

Pour moi qui ai grandi dans l’immédiat après-guerre, près du village martyr de Maillé reconstruit grâce au parrainage de citoyens américains, Philadelphie représentait la ville de l’Indépendance, de la Constitution, de la grande démocratie américaine. La découverte de cet autre aspect de la réalité m’a laissée très perplexe. Sur le campus, un de mes profs m’a alors parlé du bombardement par la police, le 13 mai 1985, des membres de la communauté Move, dans une maison d’Osage Avenue, qui a tué 5 enfants et 6 adultes. Dans ce contexte, j’ai voulu comprendre les ressorts d’une telle répression envers ces jeunes citoyens au mode de vie "atypique", écolos et contestataires.



Quelle a été votre expérience ?

J’ai commencé à étudier le système pénal de Pennsylvanie, à faire des enquêtes de terrain, à rencontrer les protagonistes de cette affaire. Je me suis trouvée face à des femmes, des mères, remarquables par leur courage et leur dignité. Ramona Africa, seule adulte survivante de l’épisode tragique d’Osage Avenue, Pamela Africa, une voisine devenue activiste, ainsi que Janine, Janet, Debbie, et Merle qui est décédée en prison. Toutes quatre ont été condamnées en 1978 comme cinq de leurs compagnons, à 130 ans de prison chacun pour la mort d’un policier, James Ramp, survenue lors de l’expulsion de leur maison dans le quartier de Powelton Village. J’ai décidé de consacrer ma thèse à ce fait divers et à ceux qu’on a surnommés les Move 9.

Ces prisonnières m’ont parlé pour la première fois de Wesley Cook, alias Mumia Abu-Jamal. Jeune journaliste de radio, connu pour son appartenance aux Blacks Panthers et ses prises de position en faveur de tous les "Sans voix", il a été jugé coupable en 1982 du meurtre d’un officier de police, Daniel Faulkner, qu’il a toujours nié. Sa condamnation à mort, confirmée en appel en 1995, a suscité l’indignation de l’opinion internationale*. A chaque fois que j’ai pu leur rendre visite en prison, j’ai vu à quel point le système pénal et carcéral est une machine à broyer les individus. Comme le dit Sister Helen Prejean, religieuse de La Nouvelle-Orléans, "après avoir visité une fois le couloir de la mort, on ne peut pas tourner le dos aux condamnés."



Peut-on parler d’une justice de classe ?

Aux Etats-Unis comme ailleurs, les hommes jeunes, pauvres, les moins éduqués et les déséquilibrés mentaux forment la majorité de la population carcérale. Sans argent pour payer un avocat, des expertises balistiques ou des analyses ADN, il est très difficile d’assurer sa défense. Mais il existe aussi une discrimination basée sur la couleur de peau de l’inculpé ou de la victime.

Les statistiques montrent que les Afro-américains, qui représentent 12% de la population, constituent 42% des condamnés à mort. 8 peines capitales sur 10 sont prononcées pour le meurtre d’une personne blanche, alors qu’au niveau national, la majorité des victimes d’homicides sont issues de minorités ethniques - afro-américains, hispaniques, autochtones. On peut également constater que la majorité des exécutions ont lieu dans les anciens Etats confédérés du Sud où la mémoire de l’esclavage et des lynchages de Noirs est encore vivace. C’est ce qu’a théorisé l’avocate et professeure de droit Michelle Alexander dans son ouvrage The New Jim Crow.

Un autre phénomène est celui que l’on peut qualifier "d’incarcération de masse". En trente ans, le nombre de détenus aux Etats-Unis est passé de 500 000 à près de 2,5 millions en 2010, et le budget des prisons a augmenté 6 fois plus vite que celui des écoles. L’industrie pénitentiaire emploie à la fois plus de salariés que General Motors, et dispose d’une main d’œuvre de prisonniers abondante et gratuite.

La situation de la Pennsylvanie illustre cette tendance générale. Depuis les années 90, la construction de prisons est devenue la ressource économique la plus importante avec 28 prisons d’Etat, 9 prisons fédérales, auxquelles il faut ajouter les Juvenile Facilities, prisons pour les 15-20 ans, ainsi que nombre de prisons locales ou County Jails. Selon un audit établi par l’ancien sénateur démocrate Jack Wagner, le nombre de détenus est passé de 8 200 en 1980 à 51 500 en 2010.

Cette augmentation constante de la population carcérale est due notamment à l’adoption à partir des années 80 de législations de plus en plus restrictives au nom de la "War on Drugs", avec des peines obligatoires et incompressibles dites mandatory ; et de politiques de tolérance zéro comme la Three strikes Laws -en référence aux règles de baseball - qui allonge lourdement les durées d’incarcération des personnes condamnées trois fois pour un même délit, y compris des actes de délinquance mineurs : vol à l’étalage, chèques sans provisions. En dix ans, ces mesures ont eu pour effet de multiplier par dix le nombre de femmes en prison pour usage de stupéfiants ou actes délictueux sans violence sur personne.



Comment comprendre la persistance de la peine de mort et des exécutions aux Etats-Unis, sur un continent majoritairement abolitionniste?

Historiquement, la peine de mort est instaurée par le droit britannique dans les colonies au XVIIIe siècle. Culturellement, elle s’enracine dans les valeurs religieuses sur lesquelles la société s’est construite : une culture du châtiment fondée sur l’Ancien Testament, avec la certitude que la dureté paie, que l’indulgence est une faiblesse et que la vengeance est dissuasive.

Cette vision qui distingue les "good ones" des "bad ones", ceux dont le comportement est acceptable et ceux qui sont "déchus" de leur humanité en fonction de leurs actes, est encore très présente dans les mentalités et dans la culture populaire. Tocqueville disait déjà en 1835 : "Quand on veut renoncer au chemin que la majorité a tracé, il faut en quelque sorte renoncer à ses droits de citoyens, et pour ainsi dire à sa qualité d’homme."

Au plan pénal, cela se traduit par un système accusatoire qui réduit la personne à ses actes, sans tenir compte de sa trajectoire, avant et après sa condamnation. En Pennsylvanie, ce système s’avère d’autant plus discriminatoire que la recherche de preuves et de témoignages repose uniquement sur les policiers qui les gardent ou les soumettent au juge sans justification.

Au niveau des juridictions pénales, l’élection des juges et des procureurs favorise aussi les discours de fermeté envers la criminalité et d’exemplarité de la peine de mort, pour emporter les suffrages d’une opinion publique quotidiennement abreuvée de faits divers par les médias. Paradoxalement, ce sont dans les Etats qui pratiquent la peine de mort que le taux d’homicides est le plus élevé. Très peu de discours soulèvent par ailleurs la question du rapport entre la fréquence des homicides et la liberté de posséder des armes à feu.

Dans les 33 Etats dits rétentionnistes, qui pratiquent l’exécution capitale, la peine de mort n’est pas perçue comme étant en contradiction avec les droits humains. Ce concept tel qui s’est construit en Europe et qui a abouti à définir, par principe, la peine de mort comme inacceptable dans les Etats membres de l’Union européenne, est difficilement transposable dans la tête des citoyens américains, dont la plupart pensent que la peine de mort n’a pas d’impact sur leurs propres vies.

Quelles sont les stratégies des abolitionnistes américains ?

Depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976 - par un arrêt de la Cour Suprême qui a mis fin au moratoire suspendant les exécutions de 1972 à 76 - la question de l’abolition reste un sujet politiquement risqué. Le dernier candidat à l’élection présidentielle à s’être prononcé contre la peine capitale a été Michael Dukakis face à George Bush en 1988. Si dans la préface de son livre Dreams from my Father, Barack Obama affirme son souhait de ne plus jamais voir un innocent exécuté, il n’a pas publiquement remis en cause cette sentence.

Sur le terrain, les avocats, les lobbyistes et les activistes adoptent une approche plus pragmatique qu’idéologique. Depuis une vingtaine d’années, ils ont réussi à convaincre les Américains et les politiciens que les malades mentaux, qui représentent une proportion non négligeable de condamnés à mort, ne doivent pas être exécutés, de même que les mineurs.

L’autre stratégie consiste à mettre en avant le risque d’exécuter des innocents en raison d’erreurs judiciaires.
Commenter  J’apprécie          180
Les outils préconisés par Huey P. Newton sont : " un code pénal, un magnétophone, un révolver".
Né de la rencontre fortuite de deux étudiant noirs en 1962, sur un campus de Californie, Huey P.Newton (fils d'un pasteur baptiste) et Bobby Seale, le Mouvement des Panthères Noires pour l'Auto-Défense (ce fut son premier nom) mit pratiquement quatre ans à voir le jour.
Commenter  J’apprécie          70
Pour la justice de Pennsylvanie, l'affaire Abu-Jamal est close, jugée, la cause définitivement entendue, puisque les juges refusent de prendre en compte les "erreurs" constitutionnelles pointées par ses avocats : l'indigence de l'accusation, la partialité du juge, les irrégularités de la procédure, les expertises absentes ou tronquées, les faux témoignages...Mais comment las autorités politico-judiciaires pourraient-elles se déjuger, dans discréditer définitivement les institutions de Pennsylvanie. (P. 151)
Commenter  J’apprécie          40
C'est à Philadelphie qu'elle a posé ses cartons, à l'époque où la première capitale des Etats-Unis, est encore une grande ville industrielle et prospère, avec un port florissant et du travail en abondance.
The City of the Firsts, ou bien the Showcase City, comme on se plaît à l'appeler.
Commenter  J’apprécie          30
Je ne suis qu'un parmi les cent vingt-trois personnes qui attendent d'être exécutées. Depuis l'été 1983, je vis dans cet univers stérile. J'ai été soumis à des mesures de rétorsion pour avoir refusé de me couper les cheveux et de renier la philosophie de mon mentor John Africa.... Je n'ai pas eu le droit de téléphoner à ma famille et certains jours j'ai été enchaîné (P. 119)
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Claude Guillaumaud-Pujol (6)Voir plus

Quiz Voir plus

Quiz - Claude Gueux

En quelle année a été publié " Claude Gueux " ?

1859
1903
1834

14 questions
1059 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}