[L'histoire évolutive] nous paraît orientée, va du simple au complexe et nous donne cette impression ineffaçable de progrès évolutif parce que la sélection ne peut jamais revenir en arrière. Ainsi, la biologie suit la voie de la physique quantique : elle installe le hasard au coeur même des cellules et des organismes. Elle généralise et unifie la vision darwinienne du vivant. (...) Nous sommes habitués à une vision déterministe et rassurante d'un monde semblable à une machine : tout y parait parfaitement défini, explicable, et nous avons l'illusion que l'univers et le vivant sont faits pour nous. Adopter une vision probabiliste nous déstabilise comme le dit Jean-Jacques Kupiec : "Accepter le hasard au plus profond de nous-mêmes conduirait à une perte de sens généralisée et contredit l'idée d'un dessein dans la nature". Admettre que nous sommes sur Terre par le seul fait du hasard contredit le sentiment d'une nécessaire justification de notre présence et de la "mission" dont nous considérons être investis. Entre hasard et nécessité nous sommes partagés, comme le sont la nature et le vivant.
[La notion de programme] suggère un concepteur, programmateur ou grand architecte et souffre en cela du péché capital de finalisme : une intention et un but sont prêtés à la nature. L'analogie, pourtant justifiée, entre l'information génétique et une écriture ou un langage dont l'alphabet est de quatre lettres, augmente encore la confusion. En fait, pour une cellule ou un être vivant donné, l'information n'est pas apportée de l'extérieur et aucun projet ne l'a conçue ni écrite. Le vivant en hérite puisqu'elle est transmise de génération à génération et résulte d'une longue évolution chez les ancêtres. Les variations aléatoires, qui créent du nouveau, couplées à la sélection naturelle qui élimine les combinaisons non viables, expliquent ce qu'elle est aujourd'hui.