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Citation de Partemps


Claude Louis-Combet
2.
C. ENAUDEAU : Vous dites que vos récits racontent finalement une seule et même chose qui aurait pour schéma : exil et retour. L’exil, c’est l’exclusion, l’expulsion, l’abandon. C’est à la fois une expérience charnelle : être coupé de la mère, ce que vous appelez « blessure », « déchirure » et « saccage », et une expérience ontologique : ne pas avoir d’assurance dans l’être, dans le sens. Et le retour, c’est la fin de la différence, différence des sexes, différence entre l’intérieur et l’extérieur, et finalement le cloaque et la mort. Le retour n’est donc pas la rencontre de l’autre, mais une incorporation fusionnelle. Dans un certain nombre de récits, la blessure est refermée par soi-même. Vous travaillez sur la bouche et les lèvres, sur les deux bouches : la bouche de la tête et la bouche qu’est le sexe de la femme. Et l’individu se replie sur lui-même dans une espèce de baiser des deux bouches. Quelle place accordez-vous alors à l’autre dans l’intériorité ou dans l’intériorisation? Quelles que soient les figures de l’autre – la sœur, la mère ou le confesseur – on a l’impression que l’autre est toujours un miroir et jamais une véritable altérité.

20C. LOUIS-COMBET: Je crois que l’œuvre c’est un poids, selon un schéma qui est fortement régressif, et que le passage dans le temps, l’exil – à l’image de ce qui se passe dans le récit du Voyage au centre de la ville, qui figure très bien cette dynamique du passage, de l’exil – l’exil est marqué par des rencontres, qui sont douloureuses, terrifiantes, exaltantes. Mais implacablement le voyage ramène à son point de départ qui est la réabsorption dans l’indifférenciation organique, fœtale, intra-utérine, ou tout ce qu’on voudra. C’est vraiment le retour à la substance, au magma originel qui est le point d’aboutissement. Donc la place de l’autre dans le processus et dans l’expérience de l’intériorité, dans le processus d’intériorisation, c’est celle de rencontres qui permettent de vivre, de construire des choses, de réfléchir, de se situer. Mais il y a un mouvement des dynamiques profondes qui est absolument inaugural, et qui est celui du retour à la confusion. Les rencontres amoureuses ou les rencontres qui ont un sens d’éveil religieux n’empêchent absolument pas, ne peuvent pas retenir cette démarche qui est toujours la chute, le retour dans la nostalgie. Donc l’altérité existe, je crois, dans les écrits : il y a différentes figures par rapport auxquelles le narrateur – pour ne pas dire moi – va se situer. Cela lui permet de prendre conscience de lui-même, mais en même temps le destin de sa solitude, c’est finalement de revenir à ce point de départ qui est la confusion originelle. Il y a une réflexion récurrente dans mes livres, c’est celle de la fragilité de la beauté qui est promise à la mort, qui est promise à la décomposition. Les rencontres qui jalonnent le parcours apportent cette note de beauté qui dans l’instant suscite une sorte d’extase, de libération, mais c’est ensuite pour retomber dans cette détermination, insurmontable comme peut l’être un destin. Les doctrines spirituelles, évidemment, ne voient pas les choses de cette façon-là. Le salut, dans la religion chrétienne par exemple, n’est pas du tout un retour à l’indistinction. C’est une personne originale qui est promise, par la vision béatifique, à la rencontre avec Dieu. Ce n’est pas du tout une fusion dans la divinité ni une confusion consubstantielle avec l’univers. S’il y a une note de spiritualité à laquelle j’adhère à travers tout ce que j’ai écrit sur des auteurs spirituels, ce serait une spiritualité panthéiste ou panthéistique. Dans les philosophies, dans les spiritualités de type panthéiste, l’après-mort, c’est le retour à l’universel et à la confusion.

21C. ENAUDEAU : Vous dites « retour implacable au point de départ », parce que c’est l’objet d’un désir inscrit en nous et qui fait notre destin.

22C. LOUIS-COMBET : II y a désir. C’est pourquoi la perspective du déclin et de la mort peut être assumée avec reconnaissance.

23C. ENAUDEAU : Et même : enthousiasme.

24C. LOUIS-COMBET : Avec enthousiasme, oui, peut-être jusque-là. Oui, c’est un accomplissement. C’est un accomplissement dans l’anéantissement. L’anéantissement, la perte d’identité, la perte de substance, la perte de conscience représentent l’aboutissement.

25C. ENAUDEAU : Ce qui est en même temps paradoxal, s’il faut aussi protéger l’identité par le secret. On a l’impression que vous êtes partagé entre l’idée qu’on ne peut se construire qu’en se protégeant d’une intrusion et l’idée qu’on désire pourtant la perte d’identité, l’indifférence.

26C. LOUIS-COMBET: Mais la protection, c’est un moment. C’est un moment qui occupe justement le passage, l’itinéraire. L’image du pèlerinage, par exemple, qui est occupé à l’affirmation de l’identité et donc à la protection du secret de base, en même temps que voué à la vénération, à l’adoration de l’Autre.

27C. ENAUDEAU : Vous liez l’écriture et l’amour. Donc, vous voyez l’écriture comme faisant partie de ce pèlerinage.

28C. LOUIS-COMBET : Oui.

29C. EAUDEAU : Comme les rencontres.

30C. LOUIS-COMBET : Le sens de l’écriture, c’est quand même de dire ce qui est : ce qui est à l’origine, ce qui est vécu fondamentalement, et ce qui attend l’homme au terme de son itinéraire. Et l’écriture est une œuvre d’amour parce qu’elle est fondamentalement initiée et informée, mais au sens philosophique du terme, par la rencontre amoureuse. C’est la rencontre amoureuse qui permet cette libération temporaire, à partir de laquelle l’écriture devient possible. Sans une rencontre amoureuse essentielle à un moment donné de la vie, le noyau de silence aurait tellement grossi qu’il aurait occupé absolument l’être tout entier. Et la relation amoureuse permet à l’homme, à l’être, au narrateur, de sortir de ce carcan intérieur qui tendait à l’immobiliser, à le paralyser et à le stériliser.
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