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Citation de Partemps


Claude Louis-Combet
5.
C. ENAUDEAU : Ma question n’était pas tant : comment sort-on de la relation duelle pour passer à la communauté humaine? mais : comment sort-on de l’affrontement avec les démons intérieurs pour passer à l’autre, que ce soit à l’autre de la rencontre ou les autres de la collectivité? Il y a une tension entre deux représentations que vous proposez de votre écriture. Celle où vous donnez à l’autre une place décisive dans le travail d’écriture, et même aux autres dans le travail de publication (même si vous n’êtes pas soucieux de votre audience) et celle où vous insistez sur l’absolue solitude et le silence. La confusion initiale est silencieuse, informelle. Vous soutenez d’ailleurs un refus des formes. Mais évidemment la parole, l’écriture est forme. Pourquoi publier et même pourquoi écrire, puisque ce qui est visé, ce qu’il s’agit d’éprouver et non pas seulement de dire, c’est le silence?

36C. LOUIS-COMBET : II y a là évidemment une contradiction, mais qui est peut-être plus théorique que réelle, que réellement agissante dans ma vie, dans ma démarche. Qu’il s’agisse de la relation de personne à personne, dans la relation duelle amoureuse, ou de la relation avec les lecteurs connus ou inconnus, il y a chez l’autre qui lit ces textes, il y a toujours une impression que je crois très authentique de partager l’univers de fantasmes, l’univers d’imagination. Il se retrouve dans ce qu’il lit. Il y a une convergence et un confluent fantasmatiques. Donc l’écrit n’est pas une parole perdue. Ce n’est pas une parole qui va se perdre dans l’absence. Au contraire. Les échos que j’ai eus de mes lecteurs depuis le commencement vont toujours dans ce sens, que ces récits fabuleux réveillent quelque chose qui était enfoui, qui était inconscient.

37C. ENAUDEAU : Vous insistez sur le fait que l’écriture exige passivité, contemplation, la contemplation d’un vide d’ailleurs. Cette passivité assure – et j’emploie à dessein ce terme, car l’exil c’est l’absence d’assurance –, elle assure à votre écriture son « infaillibilité », dites-vous. Puisque, si vous êtes passif, vous écoutez une voix qui n’est pas la vôtre. L’intériorité est-elle une voix intérieure infaillible, qui exige, pour être écoutée, un certain nombre de conditions? Ou bien est-ce que l’intériorité, jusque dans l’écriture, est menacée par une incertitude qui tient précisément à l’exil, à l’absence d’assurance dans l’être? Il me semble qu’il y a de nouveau une tension.

38C. LOUIS-COMBET : Oui, mais les deux pôles de cette tension se comprennent, se justifient. D’une part, dans le moment d’écriture, il y a des conditions matérielles et physiques de recueillement, et un moment d’attente. Je suis en train d’écrire un texte et je sais très bien où j’en suis. Je vais retrouver les derniers mots que j’ai écrits hier soir et je vais poursuivre. Et l’impression très profonde que j’ai, c’est que la parole, les discours, les textes, se construisent à mon insu, et que maintenant je n’ai plus qu’à l’entendre. Je suis dans un état de réceptivité. J’écris très lentement – je parle lentement, avec beaucoup de silences – j’écris lentement, mais pratiquement sans ratures. C’est là que je parle d’infaillibilité. Les manuscrits, les textes se présentent sans qu’il y ait des maladresses, des choses à reprendre, des corrections, des reprises. J’écris à la main, pas à la machine, avec un simple feutre – et l’expression est d’emblée ce qu’elle restera, sans aucune correction possible. Il y a là une espèce d’infaillibilité. Mais le doute vient de savoir si je n’aurais pas pu faire de ma vie tout autre chose que la consacrer à l’écriture, parce que j’ai sacrifié énormément de choses. Maintenant je suis conscient évidemment du temps qui passe. Et l’écriture certainement, dans une période de ma vie, m’a aidé à vivre, à me libérer de mes difficultés de communication. Elle a été aussi une discipline qui m’a obligé à construire ma vie d’une façon volontaire. Donc c’est quelque chose qui a été très utile. Je pense que si je n’avais pas écrit, je ne sais pas dans quelle pathologie je serais tombé. Donc l’écriture a certainement été une planche de salut dans ma vie. Mais par ailleurs, quand je considère tout ce que je n’ai pas vécu ou pas réalisé dans d’autres domaines que celui de l’écriture, je me dis que le partage est quand même disproportionné. L’écriture a pris une telle place dans le temps et dans l’économie de mon énergie et dans la formulation de mes projets, elle a pris tellement d’importance dans la vie que j’ai l’impression de n’avoir pas vécu à côté de cela. En même temps l’écriture est liée fondamentalement à l’expérience de l’amour, et c’est quelque chose qui est irremplaçable de ce côté-là, qui a été vraiment nourri d’amour. C’est ce qui en assure la valeur finalement. Mais c’est vrai que – je l’ai dit plusieurs fois, à la radio – que j’ai une grande admiration pour des auteurs, des écrivains, des artistes qui ont peu produit, qui ont beaucoup vécu, intensément et dans toutes sortes de directions par ailleurs, et dont l’œuvre est relativement réduite, mais avec une dimension et une valeur absolument transcendantes. Moi j’ai écrit beaucoup, j’ai écrit sans interruption, comme pour combler un vide que je sentais en moi et qui appelait le vertige.

39C. ENAUDEAU : Mais quelle chance d’écrire dans cette espèce de certitude ! Très peu d’écrivains peuvent dire cela, que corriger leur est impossible et qu’à ce titre ce qui est écrit est infaillible.

40C. LOUIS-COMBET : Dans mon cas, c’est un fait, je le constate. Je peux vous montrer les manuscrits, il n’y a pas de corrections. C’est le premier jet. Le premier et le seul. Mais cela me gêne un peu, justement parce que, quand je vois les manuscrits d’écrivains, et des écrivains que j’aime, que j’admire, ils sont couverts de ratures, de surcharges, je me dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas de mon côté. Quand j’ai publié Marinus et Marina, la librairie Autrement dit – je crois – avait fait une exposition et m’avait réservé un coin de vitrine. Ils m’avaient demandé de leur confier des pages manuscrites, qui avaient été photocopiées et puis agrandies pour faire un placard dans la vitrine. Et j’ai falsifié mon manuscrit en ajoutant des corrections, tellement j’avais honte de montrer un manuscrit impeccable.

41C. ENAUDEAU : Quel extraordinaire aveu !

42C. LOUIS-COMBET: J’ai fait des corrections bidons pour que cela ait l’allure de quelque chose. À voir mes manuscrits authentiques, on aurait dit que j’avais recopié, comme si je recopiais une page d’un livre. Donc, c’est dans cet état de réceptivité, de passivité que la phrase se construit. La plupart du temps, quand j’écris, que ce soit le début d’un texte ou n’importe quel passage d’un chapitre, peu importe, je ne sais pas où je vais, je ne sais pas ce que je vais dire, je ne sais pas ce que je vais découvrir, je ne sais pas ce qui m’attend. Quelquefois je pars sur une idée et puis, quand j’écris, c’est tout autre chose que ce à quoi j’avais pensé qui arrive. Il y a un happening très étrange. C’est un peu fascinant d’être comme cela dans l’imprévu, au bord de l’imprévu.

43C. ENAUOEAU : Je m’étais méprise. Vous dites que l’écriture elle-même, dans la modalité où elle surgit est infaillible, et que le doute porte sur le fait même d’écrire. Or j’ai cru lire dans certains de vos textes que vous doutiez de l’objet même de votre écriture, de son contenu, lorsque vous disiez que toute cette affaire d’exil et de retour n’était peut-être qu’un « conte pour enfants ». Vous avez même de la sévérité, puisque vous vous accusez de complaisance.

44C. LOUIS-COMBET : Oui, il y a aussi ce jugement critique. Mais c’est surtout sur le terrain de la vie spirituelle et de l’aspiration à l’expérience gnostique. Chez moi, l’écriture a largement pris la place de la foi absente.

45C. EAUDEAU : Ce que vous appelez « l’écriture par défaut ».

46C. LOUIS-COMBET : Oui. Je dirais, pour schématiser, que j’ai commencé à écrire quand j’ai cessé de prier. Là, il y avait un vide, il y avait un hiatus. Et c’était le point de départ de l’expérience de l’écriture. Mais par ailleurs j’ai fait beaucoup de lectures dans les domaines de la spiritualité, de la gnostique. J’ai publié des textes anciens d’auteurs spirituels, chez Jérôme Millon. Je continue, c’est un domaine qui m’intéresse beaucoup, mais jamais ce travail d’approfondissement de la perte de la foi religieuse, de l’adhésion religieuse, jamais l’effacement de l’image de Dieu, le silence de la transcendance n’ont été réduits par l’écriture. J’ai lu beaucoup de textes d’auteurs spirituels, et cela n’a jamais modifié ce sentiment radical de l’éloignement, de l’absence et de l’effacement de Dieu à l’horizon. Et donc là je subis l’échec de l’écriture. Mais – et là on revient à ce qu’on disait tout à l’heure à propos de la psychanalyse – peut-être que dans la relation analytique, le fait de passer par un tiers, qui est comme un témoin et qui, à certains moments, peut vous renvoyer des questions et orienter votre démarche intérieure, cela garantit une certaine assurance de la valeur de l’expérience que vous évoquez. Quand je raconte ces histoires de départ, d’itinéraire, de retour, je ne sais pas ce que cela signifie finalement… Peut-être que si ces textes avaient fait l’objet d’une analyse, avaient servi de matériel pour une analyse, peut-être que je serais plus dans la certitude que je ne le suis aujourd’hui. Je ne peux pas dire que l’écriture, après tant d’années de travail très introverti, d’une introversion constante chez moi, que l’écriture ait enrichi la connaissance de moi-même. On ne peut pas dire cela. Ce n’est pas une connaissance. J’ai plutôt l’impression d’une course, d’une fuite, d’une précipitation dans l’imaginaire pour ne pas voir les réels problèmes, les réelles difficultés, ne pas chercher de solutions. Dans ma vie souvent, l’écriture était le moment où je faisais le vide, où je rejetais à l’extérieur les soucis.
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