Il y avait aussi les chiens. Des chiens errants, affamés: ces pauvres chiens lorrains qui avaient perdu d'un seul coup leur niche et leur maître qui, eux-mêmes, avaient perdu leur ferme et tous leurs biens, sommés par un ordre bref de quitter sur l'heure la zone franche de la Ligne Maginot où nous nous trouvions avec toutes ces épaves entre les jambes.
C'étaient des chiens perdus de ces villages perdus. Ils erraient autour de notre campement, les uns apeurés, les autres féroces, tous maigres. L'un deux, sans dieu ni diable - l'homme doit être le dieu ou le diable de son chien selon qu'il le caresse ou le frappe -, l'une de ces pitoyables bêtes venait chaque jour flairer le tas de détritus et, ayant fait son choix, emportait d'un brusque coup de gueule un os couvert d'une chair vert -de-gris.