Homère avait-il des hallucinations ? Dans l'Iliade comme dans l'Odyssée, la mer est violette, vineuse, ou pourpre. Homère, précurseur du dadaïsme, qui voit la terre "bleue comme une orange" ? Ou bien indifférenciation des couleurs par les penseurs grecs, comme le prétendait Nietzsche en 1881 :"leur œil était aveugle au bleu et au vert". "Dicitur Homerum caecum fuisse" : la cécité d'Homère ne serait donc pas que l'illustration mnémotechnique d'une règle de grammaire.
Pour Adeline Grand-Clément : "le grand large « couleur de vin », imprévisible, peut être mis en relation avec le culte de Dionysos et les déchaînements auxquels il donne lieu ; la mer « pourpre » offre un visage sombre, qui suggère le danger et le pouvoir de cet élément tout puissant".
Pour Jacqueline Goy, qui prend Homère au pied de la lettre, la couleur rouge porphyre - qui donne son nom à la Mer Rouge - est due au développements d'algues microscopiques (trychodesmium ereythraeum). Homère serait le premier océanographe !
L'amiral Yves Goupil, dans sa préface à l'ouvrage "Naviguer dans l'Antiquité", se souvient en Méditerranée d'un "bleu si intense, si sombre parfois, qu'on ressent bien ce que voulait dire Homère" (p. IX). On ne querellera donc pas l'aède sur la véracité de ses qualificatifs puisque sa force poétique s'impose à la littérature et aux navigateurs.
Sous le titre "Sur la mer violette", Claude Sintes, directeur du musée départemental Arles antique, livre une anthologie des textes de l'antiquité sur la navigation. On y trouve, depuis Homère - au VIIIe siècle avant notre ère - jusqu'à Claudien - au Ve siècle après notre ère - soit sur 13 siècles, un florilège de textes divers concernant le mer et les bateaux. C'est peu de dire que c'est un régal !
Une course à la rame, racontée par Virgile évoque un commentateur sportif, tel un Léon Zitrone de la grande époque des courses hippiques, commentant la compétition sur un rythme frénétique. Plus dure sera la chute du barreur, jeté à l'eau par le capitaine irascible. Palinure n'est donc pas le seul pilote à connaitre un sort injuste !
Lucain, relate une navigation aux étoiles pleine de poésie : la Petite et la Grande Ourse, double constellation de l'Arctos, sont le guide des vaisseaux.
Florus raconte, à la manière d'un journaliste politique, comment Pompée réussit à débarrasser la Méditerranée de ses pirates par une opération spectaculaire sur toutes les côtes. La promptitude de Napoléon et l'efficacité de Nelson réunies, avec en plus la clémence d'Auguste : au lieu de passer les vaincus au fil de l'épée, Pompée leur offre pour leur reconversion un lopin de terre... très loin de la mer !
Le recueil fourmille d'anecdotes révélatrices : en réalité les Grecs n'aiment pas la mer, dont ils craignent les colères. Leur terreur est moins de perdre la vie que d'être privé de sépulture, au risque de voir l'âme errer sans répis. On comprend mieux l'insistance de Palinure et d'Elpenor à disposer d'un tombeau. Au naufragé disparu, on érige donc un mausolée, espérant que son âme vagabonde finira par y trouver le repos. Mais sans conviction et quelquefois avec un humour grinçant. Ainsi cette épitaphe : " L'ile de Pelops, la mer difficile de Crète, le Malée escarpé et ses écueils aveugles m'ont fait périr moi, Astydamas, fils de Damis de Kydonia. Mais mon corps a déjà rempli le ventre des monstres de la mer, et c'est un tombeau menteur qu'on m'a élevé sur la terre. Qui d'étonnant, puisque les Crétois sont menteurset qu'il y a chez eux un tombeau de Zeus."
Un dictionnaire des divinité est accompagné de la liste des auteurs cités qui permet de mieux les situer, et l'on s'en veut d'avoir ignoré aussi longtemps Achille Tatius, Nonnos de Panopolis ou Sidoine Appolinaire.
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