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Citation de Charybde2


Le matin se lève. Tu sors peu à peu de ton sommeil. Tes yeux s’ouvriront bientôt et tu reconnaîtras les plaines des Lamineuses. Quelque chose cloche pourtant. Ce n’est pas moi, pas ma douce voix de Trame-songe qui rompt tes rêves. Tu as perçu un sifflement, un bougé, une bascule dans le paysage. Oui, tu l’as reconnue. Tu seras une grande cueilleuse. Ton corps s’est synchronisé sur le chaos du monde. Tu peux ouvrir les yeux, Chiffe, car la marée se lève. Reste près de nous sur la colline. Ton cœur accélère. Car il y a pire que la tempête, pire que la tornade et les typhons, il y a le sol qui se dérobe pour te dévorer, te coloniser, t’infester de pestes virales. Il y a des fongiques à terrasser les ours, des galopantes qui rattrapent les fauves. Et devant toi – mais tu ne le vois pas encore Chiffe, la marée n’est qu’un rictus sur ton visage – la sporulente bouffeuse de paysages et qui nous bande les yeux. Des ténèbres verdâtres, des brouillards qui volètent quand les poussées s’activent pour te balayer. Tu ne savais pas que la catastrophe avait tant de visages ? Bien sûr tu n’avais jamais vu d’aussi près, aussi exposée, la marée qui se lève, les poussées végétales qui fêlent le sol, font éclater la vallée comme une vulgaire croûte. C’est la vengeance de la lenteur : les grimpeuses courent à notre poursuite, les champignons infesteurs se disséminent si vite, les arbres craquent, croissent ou explosent. D’étranges fruits poussent et couvrent la plaine de couleurs inouïes. Voilà notre butin. La terre convulse, le ciel tombe : la poix végétale s’accumule, des spores toxiques s’agglutinent aux vêtements, alourdissent les capes, engluent les lunettes et les masques. Pour la plupart des Lériotes, la marée verte est un péril. Pour nous, c’est un trésor. Et le désastre une efflorescence : vois les érélynes à soufflet, les trèple-souilles, l’améloire et le faillir, les crève-de-nuit, les mija-cuir, l’antérole et les bubonières à cloche. Nous en ferons des nourritures exquises, des fripes inégalables ou, dans les allées de la contrebande et du marché noir, une monnaie d’échange pour les Lériotes. Car nous sommes pour eux d’inéluctables parias : les plantes que nous récoltons dans la marée ne se trouvent pas ailleurs. Leurs vertus nous rendent inévitables. Ils construisent leurs habitations, leur lumière, leurs véhicules, leurs toiles et leur confort des mains de notre folie. Même les Symbiotes, dissimulés sous leurs capes, convoitent nos biens. C’est pour cela que tu es venue, j’en suis certaine, pour cela que tu nous suis, que tu trames et que tu cherches ton Pas. Car nous avançons dans les zones fauves, à la lisière de l’habitable et au cœur du vivant. Chez les sédenternes, quand la marée verte arrive, on se calfeutre, on se protège et on prie. On répand la chaux partout dans les maisons. Les cuves de biogression s’ouvrent pour aspirer le chaos.
Nous, on part à la chasse.
Notre utopie est une catastrophe.
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