Les lèvres rose pâle font basculer l’océan sur la grève. Un corps que la mouvance de la mer n’arrive jamais à calmer. Les femmes ont cette faculté d’amener les hommes en dehors des hécatombes, de les éloigner temporairement des puits sans fond de la guerre.
Le sexe de William se met déjà à flamber. Mais il est arrêté soudain par la photo du père qui trône sur son bureau comme un ordre, celui qui connaît le secret de sa chair et qui a tout dévasté. Un officier important de la marine étatsunienne, ombre pesante et lourde, impossible à enfiler, surtout à l’instant où le sexe réclame sa part d’assouvissement. William Anderson déplace le portrait, face contre le mur. Il tourne les pages du magazine. Il est particulièrement seul en ce moment. Il se cale dans son fauteuil. Ses yeux s’attardent au coucher du soleil, mais sans le voir. Ses paupières s’affaissent, le sexe reprend ses droits. Quelques secondes à peine suffisent… La fantaisie le tient rivé au magazine, son esprit flotte entre les images glacées de cette revue aux rêves pulpeux. Il tourne les pages.
Des visages, des visages défaits, animés, des visages apeurés, tournés vers eux-mêmes, elle en avait croisés des centaines dans le train. Quelque chose dans son cerveau avait tout enregistré, rien n’avait été effacé, mais tout était gommé par ce blanc, ce blanc à l’infini, ce blanc irrésistible qui tenait sur une toile, dans un nom, une station de gare. Ulm comme un hurlement, un astérisque, un flocon de neige, un astéroïde, un arrêt dans le temps.
Anderson’s Inn, roman, Gaëtan Lévesque Éditeur, p. 46
Il n’est pas une seule note, pas un seul cri qui ne soit alors entendu. Pas une seule douleur qui ne soit ramassée dans les bras de cet immense amour qui nous relie tous. Ce n’est plus ce chœur bigarré d’homme et de femmes brisés qui chantent, mais la musique entière qui vibre et s’élance à travers nous dans une communion parfaite.
Cette fois je quitte pour de bon ce paysage fantomatique. Je cherche une ville comme on en voit parfois dans les rêves, un lieu inconnu et pourtant familier, où s'allongent différentes maisons à l'âme tranquille, mais où l'on sent vibrer la fibre de chaque être qui les habite, une fibre qui n'est plus celle de l'amiante.