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Critiques de Darja Stocker (3)
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Nulle part en paix : Antigone

Nirgends in Friede. Antigone.

Nulle part en paix. Antigone.

Texte original, Darja Stocker

Traduction et préface, Charlotte Bomy

Presses universitaires du midi, Universcènes, 2020, 137p





C'est du théâtre contemporain, et c'est du théâtre engagé, éveilleur de conscience.

Mais c'est aussi une entreprise artistique.



Du théâtre qui prend position, donc, à côté et en faveur de ceux qui disent qu'ils n'en veulent plus, de la tyrannie, de l'hypocrisie, de la peur. Ceux-là se rassemblent sur la place, sans armes, et dénoncent le système mortifère et le rejettent. Au mépris de la mort. Ceux-là, ce sont aussi les migrants qui se heurtent à la fermeture des frontières. Ceux-là, ce sont aussi ceux qui sont dans les banlieues défavorisées, et qui, bien que connaissant depuis toujours les réponses à l'énigme de la Sphinge, ne sont pas écoutés, n'ont pas leur mot à dire.

Le passé est passé, le dragon, la Sphinge, la peste, Oedipe qui s'aveugle, Antigone qui accompagne Oedipe. L'histoire, c'est maintenant, la guerre des despotes contre le peuple. Antigone, Polynice, sont avec le peuple, sont le peuple. Aussi, Antigone est-elle multipliée. Elle n'est plus seulement la sœur de Polynice, décrété ennemi de l'Etat, elle est aussi la migrante, celle qui est issue des quartiers précaires. Elle a soif de justice, d'amour, notions que ne veut pas connaître Créon pour qui seule la force qu'on montre compte. Antigone est du côté de la vie, elle pense aux oiseaux, demande à ce que les buissons ne soient pas coupés pour qu'ils puissent y faire leurs nids. Elle pense aux enfants qui ne connaissent que la guerre et se voient interdits d'un avenir différent de celui de leurs parents. Elle ouvre les yeux, s'inscrit contre son père trop tourné vers lui-même, mène le combat, se soulève contre l'obscurité, l'opacité, à savoir l'arbitraire, l'illusion, le fanatisme, les préjugés, la barbarie. Elle dit non à l'opaque, comme aux gaz lacrymogènes, au brouillard liquide, les moyens sournois de faire la guerre aujourd'hui, elle dit non au destin tragique, on peut y mettre fin en luttant. Contre Ismène qui dit que les autres combattantes n'ont que leur vie à perdre, tandis qu'elle, a un statut à préserver, elle choisit de ne pas être en paix tant qu'une vraie paix n'est pas installée. C'est cela qui définit Antigone, elle n'est nulle part en paix, comme le dit le titre de la pièce avec son point qui met en équivalence la première phrase et la seconde.

Mais Antigone est aussi une femme, à savoir pour Créon « un être puni par son destin dès la naissance/.../Elle ne sait pas encore ce qu'elle pourrait être » à l'instar d'Ismène, qui d'abord contrainte par la peur, résignée à son impuissance, choisit de rester dans le palais, puis se ravise, parce que vivre dans le deuil est un fléau, et va chercher son frère avec Antigone, voir s'il est vivant ou mort, et revendique son acte d'infraction à la loi proclamée Avec quel mépris Créon demande-t-il au gardien si Hémon a fui avec les femmes ? Les trois Antigone, Ismène, Hémon représentent la jeunesse actuelle qui voient, veulent, que le monde change, qui participe à son changement. Le passéiste reste seul dans son coin, et il est « risible ».



C'est une entreprise artistique. Au départ, la pièce est une commande, et Darja Stocker, l'autrice suisse-allemande, née en 1983, choisit de réécrire la pièce de Sophocle en la plaçant dans les conflits actuels. Manière de pratiquer à nouveau l'innutrition, en citant un passage entier du tragique grec, et le dialogue avec les morts, c'est-à-dire les auteurs qui ont précédé, comme Heiner Müller l'y encourage.

Si la pièce de Sophocle commence avec la mort des jumeaux Polynice et Etéocle, ici, elle commence un peu avant avec ce qui est appelé l'opération Etéocle qui consiste à repousser ceux qui s'en prennent à la démocratie de Thèbes, autrement dit Polynice et ses alliés. Elle veut voir Créon et lui demander de sortir de son palais et de rendre compte des comptes au peuple. Il n'est plus question de se retrancher dans le palais où le frère d'Hémon s'est suicidé par désespoir en constatant une situation de heurt violent entre le peuple et le pouvoir, ni de subir son chagrin dans le jardin, mais de se tenir devant le palais pour que la rencontre avec le peuple qui veut une vraie démocratie, le droit au respect et à l'humanité, et celui qui veut prendre la place du chef farci d'anciennes idées, ait lieu tandis que les trois Antigone sont là pour que cette rencontre se déroule bien et que l'infinité des autres Antigone se trouvent là-bas, toujours plus près de l'ennemi. Ainsi le leit-motiv : Je suis Antigone/Je ne suis pas Antigone, outre le fait de rappeler Shakespeare, témoigne-t-il que le combat est solidaire. Cette solidarité fait que d'autres, même le gardien de l'Ancien Régime, se laissent gagner par les nouvelles idées, et que D. Stocker choisisse de ne pas faire mourir ni Polynice, ni Antigone, ni Hémon, peut laisser croire à un changement radical.

Le revirement d'Ismène est aussi très intéressant. Elle ne fait pas preuve d'un faux orgueil en ayant bravé l'interdit de la sentence édictée par Créon, mais au milieu de la foule, elle a compris pourquoi le peuple luttait, et elle adhère à sa cause. Stocker nous invite à aller voir de nous-mêmes et à ne pas prêter foi à ce que les gouvernants veulent faire croire.

Stocker revisite aussi le rôle du choeur avec ses trois Antigone qui parlent d'une même voix et qui sont les porte-paroles du peuple.

Stocker ne se prive pas d'anachronismes avec les avions, les spray à poivre, les flash-balls, et de façon plus humoristique, le botox et la console.



Stocker a choisi de parler du monde d'aujourd'hui dans son théâtre, avec la figure immortelle d'Antigone, une héroïne toujours idéaliste qui refuse de fermer les yeux devant les crimes, et qui incite les spectateurs à ouvrir les leurs. Ou comment avec de l'ancien sur lequel on réfléchit on arrive à façonner une figure d'aujourd'hu forte de son héritage d'hier et d'avant-hier pour mieux combattre l'injustice et la haine ? 



Je remercie Babelio et les presses universitaires du midi de m'avoir confié la lecture de cette pièce de théâtre plutôt optimiste qui plonge dans l'actualité et qui dit qu'en luttant tous ensemble, et en donnant la parole aux femmes, le monde peut vivre dans la paix des avis et des cœurs.
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Nulle part en paix : Antigone

La pièce Nulle part en paix. Antigone, écrite en allemand, est publiée dans une édition bilingue qui ravira franco-germanophones. Pour ma part, c’est en français que je l’ai lue – même si mon œil était régulièrement attiré par la page de gauche, par réflexe lorsque je tournais les pages, mais aussi par curiosité ! Une coquille m’a fait tiquer, dommage : « il a seulement sourit » p. 85.



C’est une lecture exigeante. Je dis lecture, puisque je n’en ai pas vu la mise en scène. Exigeante de par l’enchaînement des scènes, des répliques, de par les échos entre les personnages, mais aussi de par le fait que ceux-ci endossent parfois le rôle d’autres personnages.



C’est également ce qui fait l’intérêt de la pièce. J’ai été conquise par la multiplicité des Antigone, qui sont trois – non, pardon, qui ne sont pas Antigone, ainsi qu’elles le disent elles-mêmes. La première est la fille d’Œdipe, élevée au palais ; la deuxième est fille des frontières et s’occupe des réfugiés ; la troisième, fille abandonnée – fille de cité, de banlieue, de ghetto ?, de ce quartier où tout reste à construire.



Dans cette réécriture du mythe où les frontières entre les espaces-temps deviennent poreuses, Thèbes est ici une sorte de bastion, un nœud de fils politiques. On comprend d’autant mieux que les personnages soient pluriels, sinon davantage : Antigone évidemment, mais aussi le gardien qui se laisse entraîner à changer d’avis, mais encore Polynice qui, outre le frère d’Antigone, représente tous les mots sans nom.



La pièce n’est pas dénuée de poésie, ce que j’ai particulièrement apprécié. Certaines répliques sont particulièrement fortes, marquantes. Pour conclure, j’aimerais beaucoup voir cette force mise en scène !

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Nulle part en paix : Antigone

merci à Babelio de m'avoir permis de connaître cette nouvelle"Antigone". Antigone moderne et ses "consoeurs" se battent pour ramener leur pays un monde meilleur.

Le parallèle avec l'Antigone classique est assez particulier mais bien traité.
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