Ils ont aussi des animaux. Surtout des chiens. Parce qu’ici, la vie de chien, c’est une belle vie en maudit. Ça, c’est typiquement québécois comme expression, “en maudit”, mais ce n’est pas tout le monde qui doit l’employer. C’est-à-dire que les chiens ont une vie ici qui est meilleure que la vie de beaucoup d’enfants au Sénégal et ailleurs dans le monde aussi. Et je n’exagère vraiment pas. Je connais beaucoup de talibés de Dakar, ces petits enfants de la rue qui mendient dix-huit heures par jour, qui préféreraient être chien à Montréal. Ici, un chien, c’est un être à part entière. On lui doit respect et politesse. On lui met un manteau et des chaussettes l’hiver. Il a ses propres salons de beauté et de coiffure.
« Car les Québécois, ils ont facilement peur. Et ce n’est pas une peur normale, comme des monstres ou de la mort. C’est une peur de fondre. Malgré le froid. P’pa nous a dit ça, c’est une peur de se dissoudre comme un cachet dans l’eau, et c’est très compliqué de l’expliquer ou de la comprendre parce qu’elle n’est pas reconnue comme les autres. Et pourtant, beaucoup d’Africains l’ont connue, cette peur, beaucoup d’humains à travers la planète. Avec cette peur, on ne fait pas de grimaces ou de tremblements de mâchoire, on ne devient pas bleu quand on est blanc. Ce n’est pas physique. C’est une peur cachée qui coule avec le sang dans les veines et qui irrigue leur cœur. “C’est une vraie peur sauvage”, dit P’pa, une peur préhistorique qui date de très longtemps. La peur de disparaître. C’est la même peur que les Amérindiens (moi, je croyais que c’était “les amers Indiens” au début et je ne comprenais pas si c’était une histoire de goût ou de caractère), et je comprenais ce que P’pa me disait quand il parlait du problème de fondre. Parce que les Amérindiens (ici, on dit aussi “Premières Nations” ou “Autochtones”), qui sont ceux qui ont vraiment découvert Christophe Colomb, se sont fait dissoudre aussi par la colonisation des Blancs. Et voilà pourquoi les Québécois ont peur. »
On peut rester longtemps sans rien se dire, Charlotte
et moi, sans se regarder, juste être l’un à côté de l’autre,
sans voir le temps passer. C’est seulement la présence
qui compte. On est comme des vieux amis, c’est comme
si on se connaissait depuis toute notre vie. Le silence
parle entre nous. On écoute la ville, on observe les gens,
on suit les nuages, on leur invente des noms et une histoire.
Puis on revient sur terre, on trace des dessins avec
des petites branches sèches dans la neige. Charlotte
dessine beaucoup de coeurs, des coeurs pas très arrondis,
presque carrés, avec des angles.