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Citation de Dorian_Brumerive


C'était un administrateur de singulière espèce que le senhor officier qui commandait par intérim le fort de Têté. Peu de temps après son arrivée au pouvoir, il avait fait une loi pour fixer la valeur des denrées. En raison des guerres qui désolaient le pays depuis longtemps, les provisions coûtaient alors le triple de ce qu'on les payait jadis. Il fut donc décidé par Son Excellence que les choses seraient remises sur l'ancien pied; qu'on aurait à l'avenir vingt- quatre poulets, au lieu de huit, pour deux yards de calicot; et que le prix des chèvres, des moutons et de l'huile serait réduit dans la même proportion.
Le premier indigène qui vint au marché refusa de céder ses volailles au prix du nouveau tarif. On le traîna immédiatement devant le gouverneur, qui, pour le punir, lui fit attacher au cou sa marchandise gloussante, et le condamna à remonter et à descendre la rue jusqu'au soir, sous la surveillance d'un argousin, puis ensuite à passer la nuit en prison. Un autre malheureux, ayant apporté de l'huile d'arachide, et n'ayant pas non plus consenti à la vendre aux conditions légales, fut condamné à en boire une large dose. Cela servit d'exemple; et la seule difficulté que rencontra la réforme vint de ce que les indigènes attendirent, pour reparaître au marché, qu'on eût abrogé la taxe.
Les vins et les liqueurs, dus à l'importation, payant une entrée assez forte, Têté, pour un simple village, doit avoir un revenu respectable. Le climat y est pour beaucoup; on l'accuse généralement d'une foule de choses.
Les Portugais de Têté poussent l'intempérance et les autres vices tellement loin, que nous sommes surpris, non pas de ce qu'ils ont la fièvre, mais de ce que la fièvre ne les a pas déjà tous emportés. Leurs habitudes seraient mortelles sous n'importe quel climat. C'était pour les Africains un sujet d'étonnement plus encore que pour nous-mêmes. Nos Makololos, par exemple, regardaient avec effroi ces réunions bachiques; et Sininyané les décrivait de manière à servir de leçon aux acteurs de ces tristes scènes. "Un Portugais se lève", disait-il, "et crie : Viva ! - C'est-à-dire je suis content -; un autre crie : Viva ! à son tour, puis ils crient : Viva ! tous ensemble. Ainsi donc, pour les contenter, il ne faut qu'un peu de bière !".
Un soir, il vit trois officiers qui, dans leur contentement, se querellaient au sujet d'un faux rapport. L'un de ces officiers se jeta sur son supérieur, s'efforça de le mordre, l'entraîna dans sa chute et roula avec lui sur le plancher, tandis que le troisième, prenant une chaise, les frappait tous les deux. Dans son horreur d'une pareille conduite, Sininyané s'écria : "De quelle espèce sont donc ces blancs, qui traitent leurs chefs de la sorte !"
Les fautes de ces gens nous attristent; quand nous en parlons, c'est avec chagrin, non pas avec colère. Leur trafic d'esclaves est une méprise énorme. En les retranchant du reste du monde, leur gouvernement les place dans une fausse position; ils le sentent et le disent avec une amertume qui ferait changer de langage aux hommes d'Etat de Lisbonne, si ces derniers pouvaient les entendre. Mais il n'y a pas de journaux à Têté, pas de libraire, à peine un maître d'école. Si nous étions nés dans un pareil milieu... Nous tremblons d'y penser !

("Exploration du Zambèze et de ses Affluents")
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