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Citation de Dorian_Brumerive


Notre expédition est la première, nous le croyons du moins, qui ait vu la traite au lieu même de son origine et l'ait suivie dans toutes ses phases; c'est pour cela que nous avons décrit avec tant de détails les diverses pratiques de cet odieux négoce.
On a dit que la vente de l'homme était soumise, comme toutes les autres, à la loi commerciale de l'offre et de la demande, et devait par conséquent rester libre. Cette assertion a été risquée parce que nul ne pouvait la démentir. Mais, nous l'affirmons à notre tour : cette vente est la cause de tant de meurtres qu'elle ne mérite pas plus d'être classée parmi les branches de commerce que le vol de grand chemin, l'assassinat ou la piraterie.
Tout d'abord, c'est une pénalité : le coupable seul est vendu; et l'on peut y voir un acte de justice. La peine atteint bientôt les accusés de sorcellerie; puis l'enfant d'un pauvre est saisi en paiement d'une dette ou d'une amende : tout cela au nom du chef, et à titre légal.
Viennent ensuite les voleurs qui, soit isolément, soit par groupe, enlèvent les enfants des hameaux voisins quand les pauvres petits vont puiser de l'eau ou chercher du bois.
Nous avons vu des districts où chaque demeure était entourée d'une estacade, et les habitants n'y étaient pas en sûreté.
Ces rapts, d'abord partiels, amènent des représailles; les bandes se forment, la lutte grandit. Ce qui avait lieu de village à village se passe de tribu à tribu. Le parti le plus faible devient errant, se procure des armes en vendant ses captifs, attaque les tribus paisibles et n'a plus d'autre emploi que d'approvisionner les marchés de la côte.
Des Arabes et des métis portugais viennent en outre chercher le bétail humain qu'ils ont fait recueillir et stimulent l'activité des pourvoyeurs. Parmi ces derniers, se remarquent les Ajahouas et les Babisas, qui ont à la fois le goût du trafic et des voyages.
L'effet de cet odieux commerce est visible chez tous ceux qui le pratiquent; ainsi les Babisas et les Ajahouas, d'une intelligence supérieure à la plupart des gens de leur race, sont tellement pervertis par leur affreux négoce, qu'on les a vus troquer leurs nouvelles épouses ou leurs propres filles pour une dent d'éléphant qui leur plaisait. Ceux de leur tribu, qui ont une vie sédentaire et n'ont jamais trafiqué de leurs semblables, s'indigneraient au seul récit de pareilles énormités.
Enfin, nous voyons la traite prendre un nouvel essor par le fait d'Européens qui, sans le vouloir, offrent un débouché à l'exportation de l'indigène. Des bandes armées, conduites par des agents commerciaux, appartenant à des Arabes et à des Portugais de la côte, sont expédiées dans l'intérieur avec de grandes quantités de mousquets, de munitions, de grains de verre et de cotonnade. Ces derniers articles servent, au début du voyage, à payer les frais de route et à faire des achats d'ivoire. Très souvent, ainsi que nous l'avons vu, la bande conserve le caractère commercial pendant une grande partie de la tournée. En pareil cas, elle s'installe dans un lieu favorable aux affaires, s'entend avec le chef et cultive un champ d'une certaine étendue; mais il n'est pas une de ces caravanes qui n'ait accompagné les indigènes dans leurs razzias et n'ait attaqué une peuplade quelconque avec l'intention d'y faire des captifs. Nous n'avons pas un seul exemple du contraire. Le fait est si commun qu'il en résulte une dépopulation effrayante. L'arc et les flèches ne tiennent pas contre le mousquet; la fuite des habitants, la famine et la mort s'ensuivent. Nous répétons ce que nous avons dit plus haut avec une ferme conviction, qu'il n'est pas un cinquième des victimes de ces chasses, souvent même un dixième, qui arrive à Cuba ou partout ailleurs et profite de ces bons maîtres que leur destine la Providence; car c'est ainsi que les possesseurs d'esclaves interprètent les Écritures.
Ce dernier système des bandes guerrières et trafiquantes est celui des Portugais de Têté; et le carnage qu'il a mis sous nos yeux défie toute description. Comme tous les médecins, nous avions assisté à des scènes bien douloureuses; le spectacle de la mort nous était familier; mais les horreurs produites par le commerce de l'homme dépassent tout ce que nous aurions pu croire.
Nous avons montré le double courant de cet odieux négoce, tel qu'il se faisait sous nos yeux !une partie des esclaves remontant le Zambèze, tandis que le reste se dirigeait vers la côte. Les femmes, expédiées dans l'intérieur, s'y vendaient jusqu'à deux arrobas (soixante-quatre livres) d'ivoire. Une grande partie des hommes étaient envoyés à l'île de la Réunion.
Si nous reparlons de ce sujet pénible, c'est qu'il est important de faire observer que tout cela s'est fait sous la direction d'un esprit aussi éclairé que prévoyant. En voulant suppléer par des Africains aux ouvriers qui manquaient à la Réunion, Napoléon III ne songeait qu'à des émigrants volontaires. Sur chaque navire était un préposé chargé de veiller à ce que l'engagement fût équitable et librement consenti; à ce que la nourriture fût saine, en quantité suffisante, et le nombre des passagers en rapport avec l'espace qu'ils devaient occuper.
Malgré tous les soins de l'Empereur, cette mesure n'a jamais été que la traite sous la forme la plus grave; et le trafic maudit a d'autant mieux prospéré qu'il était soutenu par un gouvernement énergique et puissant. Honneur à Napoléon III pour avoir délivré les Français de toute participation à la vente de l'homme; honneur au gouvernement britannique pour lui avoir démontré les maux qu'il faisait naître, sans en avoir conscience, et pour avoir facilité l'émigration des coolies hindous au prix d'un sacrifice considérable.
On pourrait croire que les effets que nous attribuons au système des "engagés" sont le résultat d'une méprise; mais nous n'avons rien dit que nous n'ayons vu, rien avancé dont nous n'ayons la preuve.

("Expédition du Zambèze et de ses Affluents")
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