Les villes où l'on vécut enfant vous laissent aux mains une poignée d'images, comme une poignée de coquillages ; on écarte les doigts, les plus minces glissent, la plus belle reste....
Les villes où l'on vécut enfant vous laissent aux mains une poignée d'images, comme une poignée de coquillages : on écarte les doigts, les plus minces glissent, la plus belle reste.
Du Lorient d'avant la destruction, le plus vif souvenir n'est pas pour moi la petite place éventée, gaie, poussiéreuse qui, entre l'église Saint-Louis, la statue de Bisson et le marché aux langoustines, était le centre psychologique de la ville ; bien plutôt m'attirait la longue estacade qui, au bout du bassin à flot, se prolonge jusqu'à l'embouchure du Scorff, vers le miroir de la rade. Promenade des dimanches d'hiver, où le vent nous empoignait.
La grisaille des rues, des toits, des fumées, disparaissait dès que s'ouvrait sur le ciel les quais qui connaissaient surtout les petits vapeurs charbonneux faisant la navette avec Cardiff : poteaux de mine contre anthracite ; les vedettes de la rade emmenant vers Penn-Mané, Port-Louis, Kernevel, leur cargaison de citadins, de coiffes et de casquettes bleues ; parfois dans le bassin à flot une dernière goélette amarrée, dont la mâture aventureuse dépassait les arbres....
(extrait de "Lorient d'hier", chapitre du volume paru aux éditions "France-Empire" en 1970)