Tout avait commencé deux semaines auparavant. Un mardi matin, pour être précis. M. Legros était arrivé en classe et, avec sa franchise habituelle, leur avait déclaré :
– Mes enfants, laissez-moi vous dire que vous n’avez pas très bonne réputation. Dimanche dernier, j’ai participé à un congrès. Rien que des professeurs de français. Presque tous les collèges de France et de Navarre étaient représentés. Eh bien, figurez-vous que durant toute la journée, mes collègues n’ont pas cessé de se plaindre : un lamento général ! Il paraît que le niveau baisse, pire encore, que vous n’avez plus d’imagination. Qu’avec la télévision, la pub et le reste, vous seriez devenus des veaux. Oui, je dis bien : des veaux, tout juste encore capables de ruminer vos chewing-gums... Je vois que tu n’es pas d’accord, Mathias.
– Non m’sieur ! Faut pas exagérer ! Peut-être que le niveau baisse, mais on n’est pas des veaux ! Des idées, on en a encore ! Le chewing-gum, c’est dans la bouche qu’on l’a, pas dans la tête !
– C’est bien ce que je leur ai répondu. La situation est préoccupante, mais pas désespérée. Je n’ai eu aucun succès. L’un d’eux a même ajouté : on voit que vous n’avez jamais soumis votre classe au test du sujet-bateau !
– C’est quoi, m’sieur, le test du sujet-bateau ?
– Oh, rien de plus simple. On donne aux élèves un sujet banal, à bâiller d’ennui. À eux de faire leurs preuves, en déployant des trésors d’imagination.
– C’est vicieux, comme truc, m’sieur.
– Sans doute. Aussi, test ou pas test, rassurez-vous, votre prochain sujet de rédaction ne sera pas un sujet-bateau.
– Vous croyez qu’on n’en est pas capables, m’sieur ? avait repris Mathias. Les sujets-bateau, ça nous fait pas peur.
Surpris, M. Legros avait interrogé sa classe.
– Moi, je suis d’accord avec Mathias, avait affirmé Lucille. On en a marre d’être pris pour des débiles. Donnez-nous un sujet-bateau, m’sieur, un bien nul, et on va voir ce qu’on va voir.
La classe était unanime.