Pour Thériault, il y a quelque chose de pourri au pays catholique de Québec, pourriture camouflée sous un vernis présentant déjà plus d’une craquelure. Sous ses traits, parfois trop gras si l’on veut, on reconnaît quand même plus d’un personnage ; plusieurs de ses types de villageois ressortent avec beaucoup de véracité et de force ; certaines attitudes de son évêque, dont on n’entrevoit pourtant que la silhouette, traduisent, même avec sa part d’exagération, une disposition d’esprit qui se retrouve à plusieurs échelons de notre hiérarchie ecclésiastique : son curé Bossé a l’âme candide de nos curés de village, à la foi aveugle du charbonnier ; il n’a peut-être que de vagues ressemblances avec le curé de campagne de Bernanos, mais Thériault réussit quand même à nous le faire évoquer dans les dernières pages du roman, empreintes d’une émotion contenue.
Dans « Les Demi-Civilisés », Jean-Charles Harvey s’est attaqué à un problème qu’il a été le seul à traiter jusqu’ici dans le roman : celui de la liberté ou, plus exactement, le problème de l’homme ou des hommes qui veulent manifester librement leur liberté dans une société statique et conventionnelle. C’est d’ailleurs sous cet aspect que se présente notre problème de la liberté. Harvey voudrait que la liberté cesse d’être subjective, que le Canadien français affirme sa liberté sans passer pour un phénomène, un original, pour tout dire, un révolté. Il revendique son droit à l’expression de sa liberté, même au risque de troubler la quiétude d’un monde qui ne souffre pas de sa privation, précisément parce qu’il ne la connaît pas et ne paraît pas vouloir la connaître.
Il n’y a évidemment aucun mal en soi à écrire des romans terriens, des romans exaltant le sol, la race, prise, ici, non dans son sens étroit mais dans celui d’un groupe d’hommes partageant les mêmes labeurs, menant les mêmes luttes, possédant les mêmes affinités culturelles et spirituelles ; il n’y a aucun mal à remuer la terre dans une œuvre, d’en soupeser la richesse et de dresser l’inventaire de tous les espoirs qu’elle offre.
On pourrait citer une foule de noms de journalistes consacrant leurs loisirs au travail littéraire, à la critique, à l’essai, à la poésie, au roman, à l’histoire, au théâtre, etc. Ce sont eux qui sont en train de placer la littérature française du Canada sur la carte du monde et de l’intégrer peu à peu au grand tout français universel.
Une littérature, comme l’Histoire, comme le temps lui-même n’a jamais de point d’arrivée ; elle est, avec la politique et la norme de vie matérielle, l’un des critères de fixation dans l’évolution d’un peuple ou d’une nation. On dit que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent ; et c’est vrai pour la littérature aussi, car l’un et l’autre en sont les produits, même si l’on doit admettre que ce soit sur des plans différents. Mais la politique et la littérature demeurent des arts : l’un, celui de gouverner les peuples ; l’autre, d’exprimer son âme et d’en refléter les comportements. Le degré de perfection qu’elles atteignent à un moment donné est l’un des plus sûrs indices du niveau intellectuel de la nation.
Quant à notre clergé, admirable en tant de domaines et à qui le Canada français doit au premier chef de ne pas avoir été rayé de la carte, il conserve une attitude défensive qui le fait regarder avec une infinie méfiance tout ce qui vient de l’extérieur ; il arrive que, dans son désir de tout passer au crible, il atteigne parfois des effets diamétralement opposés à ceux qu’il cherche ; les révoltes intimes, celles qui se manifestent encore en vase clos, sont dirigées bien plus contre lui que contre les autorités politiques.
C’est dans le journalisme que sont maintenant réfugiés la plupart de nos écrivains : le journalisme et la radio qui leur fournit leur principal gagne-pain. Le journalisme a même produit toute une phalange d’écrivains dont l’activité s’est limitée là : Jules Fournier, Olivar Asselin, Louis Francoeur, Henri Bourassa et Georges Pelletier ; on a sans doute recueilli quelques articles de Fournier et d’Asselin ; mais ces « morceaux choisis » ne donnent qu’une faible idée de leur oeuvre magistrale.
Si la poésie a toujours occupé au Canada une place plus importante, plus essentiellement littéraire que celle du roman, cela vient peut-être de ce que l’effort y fut plus soutenu ; et aujourd’hui, encore, même si le roman s’affirme plus substantiel, plus puissant, se dégageant lentement de sa puberté qui le maintenait gauche, timide, sans élan véritable, les poètes promettent d’aussi beaux lendemains à la poésie canadienne.