Il pouvait enfin profiter d’un moment de tranquillité et de solitude. Il en avait besoin pour récupérer de l’énergie, mais aussi pour réfléchir sans être dérangé et être ainsi en mesure d’évaluer la situation, de peser le pour et le contre de chaque échappatoire possible, même s’il devait admettre qu’elles restaient toujours les mêmes.
Jamais, il n’aurait pensé pouvoir être confronté à une telle impasse, lui dont la vie, à un peu plus de quarante ans, se déroulait depuis un bon moment sans surprises ni secousses importantes, suivant une ligne droite bien définie.
Qui sait, peut-être, derrière l’insupportable volonté de fer et l’épuisante et inépuisable détermination que sa femme déployait chaque jour, battait un cœur. Peut-être Carole était-elle capable d’empathie, de compassion, de passions sincères, de joie spontanée ; peut-être y avait-il quelque chose de vrai en elle. Ou alors, était-il juste resté planté là en tâchant de survivre à ces années de recherche effrénée d’une position sociale enviable.
Les bons souvenirs étaient nombreux, depuis leur période estudiantine entre alcool et joints jusqu’à leur vie d’adulte en tant que riches privilégiés. Ils l’étaient tous les deux.
En y repensant, il lui semblait qu’il avait apprécié cette vie un peu plus qu’elle, même s’il se révélait être un individu plus naïf, plus manipulable, et peut-être justement pour cette raison, détaché des stratégies mentales et des arrière-pensées.
Il avait épuisé son stock de visages avenants, ne lui restaient en main que masques et mélancolie. Et l’apitoiement sur soi. Comme un vieux clown pathétique. Pour accroître encore son mal-être, le rongeait le doute d’avoir gaspillé son énergie et des années de sa vie à construire un majestueux château de cartes et d’avoir vécu un rêve qui ne lui appartenait pas. Tout en réalisant que personne ne l’avait obligé à le faire.
Ne pas forcément faire semblant de se sentir bien, comme le dictent certaines conventions sociales. Il essayait de se dire que c’était possible, qu’il devait en passer par là, sans culpabiliser : laisser filer les minutes sans les remplir, laisser le temps s’écouler de lui-même, se vider des attentes, des contraintes et de son énergie.
Paolo avait grandi dans une famille incontestablement aisée, mais, à présent, à l’âge adulte, il avait conscience que jamais ses parents n’auraient fait montre d’arrogance ou d’orgueil, ni considéré leur statut privilégié pour acquis.
Trois semaines se sont écoulées depuis mon arrivée, mais elles me paraissent une année entière, tant nous accompagnent et nous accablent, nous, pauvres misérables, la peur, la fatigue, l’épuisement dans cet endroit sinistre.
Cette sorte d’illumination lui avait procuré un sentiment de paix fascinant, peut-être l’expression d’un désir refoulé, celui de se dépouiller de ses propres attentes et de celles des autres.
Cela restera peut-être mon secret que je préserverai, comme je préserve, chaque jour et depuis toujours, l’immense affection que je ressens pour toi.
Dans la vie, suffisait-il d’admettre d’avoir mal joué ses cartes pour pouvoir repartir de zéro ?