Elisabeth Catta

Les théories explicatives centrées sur l'individu péchaient par approximation et insuffisance. D'autres théories dégagèrent les aspects sociaux qui peuvent favoriser le passage à l'acte du délinquant ou l'apparition de troubles dans une famille. A tour de rôle, ou simultanément, on a insisté sur les facteurs économiques, socio-culturels, l'ethnie, la structure familiale, l'habitat, le quartier, la zone de voisinage, l'école...
Les corrélations entre la délinquance et tous ces facteurs bien évidemment ne manquaient pas... et successivement, selon la facette du prisme observé, on a mis l'accent avec espoir sur le remède adéquat: dépistage ou prévention des troubles médico-psychologiques, aspects socio-économiques ou politiques, alphabétisation, organisation des loisirs, réinsertion en milieu scolaire ou professionnel, rénovation de l'habitat. On a aussi accentué le quadrillage policier à la sortie des écoles, exporté les jeunes des quartiers "chauds" pendant l'été, etc.
Mais le regard humain n'est pas apte à saisir dans un même temps les multiples facettes du prisme et toute perception de la déviance ou des remèdes à lui apporter a tendance à se vouloir unique et simplificatrice. A chaque regard correspond un type d'intervention tour à tour éducatif, politique, économique ou culturel dont la prolifération finit par créer quelques découragement et scepticisme chez les travailleurs sociaux, ou lasse les plus fervents d'entre eux, en raison du caractère aléatoire des résultats.

infliger un rêve à son enfant, c'est comme lui passer les menottes.

Le bâtonnier se précipite, la main tendue:
- Heureusement que vous avez été nommée juge des enfants! C'est mieux. Juge des enfants! Quelle belle vocation pour une femme!
Et tac! nous y voilà déjà. Première réflexion d'une série qui en comptera mille autres identiques, de la part d'amis, de collègues, ou simplement de rencontres. Femmes et enfants vont de paire dans les dictons alors pourquoi pas dans la magistrature! A chaque fois, j'ai réagi spontanément pour réfuter cette affirmation comme si ma liberté de femme et surtout de magistrat était prise au piège. Je suppose qu'une coutume aussi populaire qu'archaïque a établi que la vocation première, naturelle, de la femme la destine à s'occuper des enfants quel que soit le contexte envisagé.

En vérité, le métier de juge requiert beaucoup plus d'humanisme et de maturité que de technicité. Mais l'humanisme et la maturité ne peuvent s'inscrire qu'au programme de la vie, pas à celui d'une école. Aucune école n'enseigne une position par rapport au monde...

La justice, comme la psychiatrie, a conservé jusqu'à présent une approche individuelle de la maladie ou de la déviance. On donne une étiquette au fou, au délinquant ou au caractériel. On l'isole, on lui fait porter solitairement la responsabilité de son comportement ou de ses troubles, on le soigne, on le punit, on le place, on le réinsère. Et cependant, pour transmettre ses valeurs et ses règles, la société s'appuie sur des institutions comme la famille, l'école, l'entreprise. On pourrait dire que la loi a été programmée pour être transmise par la famille, mais que dans son application on n'en a gardé que l'aspect individuel.

La forme juridique d'une famille, naturelle, légitime, adoptive, monoparentale, divorcée, ne détermine pas obligatoirement ce qui s'y passe. Le plus significatif, à mon sens, réside dans la qualité de la communication qui existe entre les membres de cette famille, qualité à laquelle le juge des enfants doit être sensible s'il ne veut prendre l'accessoire pour l'essentiel.

Imaginez un mobile composé d'oiseaux de papier multicolore. Le mobile est plus que l'addition des oiseaux de papier que vous auriez déposée devant vous, c'est un objet différent, une forme nouvelle. De même, une famille est autre chose que l'addition ou la juxtaposition de toutes les individualités qui la composent, c'est une structure distincte.

Un jeu, c'est une façon d'être que l'on apprend dès l'enfance et qui nous écarte progressivement de notre authenticité première. Une seconde nature se superpose lentement à la première, et devient si familière, si confortable, que la quitter est une souffrance véritable.

En fait, il est plus utile de concevoir un acte de déviance comme étant inclus dans une chaîne circulaire d'interréactions ou comme le dysfonctionnement d'un système relationnel que comme le résultat de quelque obscure raison psychologique individuelle.

Les enfants éprouvent très tôt une variété d'émotions et de sentiments mais finissent par en sélectionner quelques-uns dans cette gamme infinie pour jouer plus tard leur rôle favori.