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Citation de LeslecturesdeLily


Extrait de la nouvelle Ariel

de Elodie Morgen

Ariel



Comme avant chaque départ en mer, le capitaine William Hawkins s’éloignait de son équipage pendant quelques heures. Il avait pris cette habitude plusieurs années auparavant, et aucun de ses hommes n’aurait osé gâcher ce moment de tranquillité qui n’appartenait qu’à lui. William avait choisi de profiter de ces derniers instants de solitude pour aller faire un tour sur la plage attenante au port où l’Espérance, son petit bijou, était amarré. Il n’avait rien d’un loup solitaire, tous ses hommes l’appréciaient et le tenaient en haute estime. Mais comme chaque être humain, il avait besoin, de temps à autre, de s’isoler pour se ressourcer.

Il aimait bien voir la mer depuis l’immensité sablée. Il la trouvait encore plus belle de ce point de vue. Ce grand capitaine n’avait pas donné son cœur à quelqu’un d’autre que la mer depuis pas mal d’années. Aucune femme n’était jamais parvenue à combler son cœur et son âme. Seule l’étendue bleue en était capable. Son caractère n’aidant en rien, il ne s’efforçait même plus de séduire une femme, pas même une catin pour une nuit. La simple idée de devoir rendre des comptes à quelqu’un d’autre que l’océan le répugnait, surtout si cette personne était incapable de comprendre son amour pour la mer.

Dans sa jeunesse, il était tombé amoureux d’une très belle femme de son village natal. L’amour les enveloppa de sa douce musique durant une année, jusqu’au jour où elle s’arrêta net : sa bien-aimée lui demanda de choisir entre elle et la mer. Elle avait été lasse de devoir attendre son compagnon jour et nuit, de craindre pour sa vie, de se demander s’il rentrerait cette fois ou s’il lui arriverait malheur en mer…

Depuis ce jour, le capitaine avait décidé qu’il ne toucherait plus aux femmes. Son cœur ne serait brisé qu’une seule fois, il s’en était fait la promesse, même si celle-ci lui brisait elle aussi le cœur.

Cependant, sa manière de vivre en perturbait plus d’un. Parmi son équipage, on se demandait comment un homme normalement constitué parvenait à se passer de l’amour d’une femme, surtout après y avoir gouté. Mais, il le respectait pour sa patience et son self-control, car ils restaient persuadés que l’envie d’être dans les bras d’une femme aimante caressait tout de même les rêves les plus secrets de leur capitaine. Celui-ci était vraiment tout le contraire de son équipage. Dès que ses hommes rejoignaient la terre, ils s’empressaient de rejoindre le bar le plus en vogue pour passer un moment en charmante compagnie le temps d’une nuit. Mais William n’avait pas ce genre de besoin. Ou plutôt, il ne l’avait plus. Le souvenir de sa douloureuse rupture le hantait encore chaque nuit. Chaque fois qu’il avait le malheur de poser ses yeux sur une femme à son goût, les mots percutants de son amour perdu résonnaient à ses oreilles, lui rappelant que les femmes avaient besoin de présence et qu’elles n’accepteraient jamais un homme comme lui.

Ce que ses hommes ignoraient, c’est qu’il espérait secrètement qu’une femme parvienne à faire chavirer son cœur. Mais pour cela, il fallait qu’elle ait le même amour que lui pour la mer. En effet, un malaise grandissant l’envahissait chaque jour qu’il passait sur ce sol bien trop dur à son goût. Il ne serait jamais capable d’abandonner l’océan, il en était convaincu.

Perdu dans ses pensées maritimes, le vieux solitaire marchait lentement dans le sable chaud. Le regard perdu vers le large, il se préparait mentalement au départ imminent. Dans quelques heures, il repartirait dompter les dangers des flots parfois très tumultueux. Alors que cette seule idée aurait suffi à terroriser plus d’un homme, William, lui, était plus serein que jamais. La mer représentait sa vie et il ne s’en cachait pas. Si une femme devait un jour où l’autre en faire partie, elle devrait accepter cela.

Cela faisait déjà une heure que le capitaine vagabondait sur la plage. Ses pieds nus avaient rougis tant le sable était chaud. Il s’apprêta enfin à faire demi-tour pour rejoindre son cher bateau, lorsqu’une forme inattendue attira son regard. Étendu dans le sable humide, un être humain gisait dans le remous des vagues. Tantôt immergée, tantôt à l’air libre, William se demanda s’il n’était pas trop tard pour sauver cette pauvre créature de Dieu. Il s’approcha davantage pour mieux cerner la situation, voir si l’homme respirait encore et s’il pouvait encore le sauver. À sa grande surprise, il constata que le corps échoué appartenait à une jeune femme. Il le comprit lorsqu’il vit ses longs cheveux roux trempés et sa longue robe bustier aux teintes rosées collée à son corps humide. Son visage ovale ne semblait pas donner signe de vie. William remarqua à quel point elle paraissait sereine, comme si elle avait attendu cette mort avec impatience. Ses yeux étaient clos et le capitaine ne distinguait aucun mouvement au niveau de sa cage thoracique. Il décida alors de s’approcher encore plus près et posa sa tête au-dessus du visage de la jeune femme. C’est alors qu’il perçut un léger souffle chaud contre sa joue : elle respirait, elle avait survécu ! La mer n’avait pas encore eu raison d’elle. Plein d’espoir, il l’enveloppa de ses bras forgés par les années passées en mer et la transporta jusqu’à son bateau.

Il fut observé par son équipage, qui lui jeta des regards tantôt ébahis, tantôt interloqués, mais aucun de ses moussaillons n’osa le questionner sur cette mystérieuse femme. Le capitaine se faufila dans la coursive qui menait à sa cabine personnelle tant bien que mal. Le passage étroit n’était pas facile à pratiquer avec une jeune femme dans les bras. Il l’installa confortablement sur son lit de fortune et rejoignit ses hommes pour leur ordonner le départ. Il resta au commandement jusqu’à ce que les manœuvres soient plus aisées et que l’Espérance soit sur la bonne route pour leur prochaine destination, puis il se retira dans sa cabine sans un mot supplémentaire, laissant le contrôle à son second d’un signe de tête.

William ignorait pourquoi il était si pressé de retrouver la jeune femme rejetée par la mer. D’ordinaire, il n’aurait jamais agi de la sorte ; il l’aurait déposée chez le premier villageois charitable qu’il aurait rencontré. Mais il avait ressenti une irrésistible envie de l’emmener, comme si son cœur lui avait soufflé qu’elle était faite pour lui. Il rejetait cette option, préférant penser que l’âge commençait à l’attendrir un tantinet.
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