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Citation de Cielvariable


Direction Camden Town, le quartier le plus rock et jazzy de Londres. Un coin à la fois branché et populaire où tous les mondes, les aspirations, les envies se mélangent, loin, très loin du calme et du luxe de Mayfair. Un coin où ma sœur bosse lorsqu’elle n’a rien de mieux à faire… Je la retrouve en plein inventaire, accroupie derrière son comptoir. L’« happy hour » ne va pas tarder à commencer, elle ne va pas avoir beaucoup de temps à m’accorder.

– Bienvenue au Crazy Monkey, je vous sers quelque cho… lâche-t-elle en se relevant, avant de me voir… Désolée Sid, ça va bientôt être le coup d’envoi.
– Je sais, je ne reste pas longtemps.
– Alors ? Tu as touché le jackpot ?
– Non, j’ai tout foiré. Mais je crois que ça vaut mieux. Tu aurais vu la baraque… Et les gens qui y habitent… Pas pour moi ! soupiré-je en attrapant le verre qu’elle me tend.

Je suis en train de grimacer – je ne m’attendais pas à un shot de vodka pure – quand Jasper nous rejoint et s’assied sur le tabouret à côté du mien.

– Ne pose pas trop vite tes fesses, toi ! lui balance Joe. On n’a pas assez de glace et je ne trouve pas les olives.
– Pas mon problème, ma brune, sourit insolemment le collègue de ma sœur. C’est toi qui gères ce soir, moi je suis juste venu en extra.
– Ça marche peut-être avec tes petites poufs, ton sourire de Casanova, mais pas avec moi. De la glace, tout de suite ! ordonne-t-elle en serrant les dents.

Le grand brun, hipster converti – il faudra m’expliquer le concept du bonnet en plein mois de juillet – lâche un rire franc et guttural, m’embrasse rapidement sur la joue, puis s’en va en direction de la machine à glace. Ma jumelle a toujours le dernier mot. Toujours.

– Joe, c’est le seul ami qu’on a ici. Si tu pouvais éviter de le faire fuir…
– Tu parles, il nous adore, il veut même venir vivre avec nous ! murmure-t-elle en me faisant un clin d’œil.
– Hum, vu le nombre de bimbos qu’il se tape et ramène chez lui, non merci.
– Il est mannequin, que veux-tu, c’est dans son ADN, blague ma sœur.

L’intéressé revient, tend le seau à sa collègue et passe derrière le comptoir.

– Alors, ma blonde, cet entretien ? me lance-t-il en essuyant un verre. Joe m’a dit que tu allais bientôt pouvoir nous payer des vacances au soleil !
– Non seulement je ne vais rien vous payer, mais en plus je vais peut-être devoir vous demander de me pistonner…
– Tu rêves, on est au complet ici, répond Joe. Et puis tu vaux mieux que ça, toi…
– Si ça t’intéresse, je pourrais parler de toi autour de moi, propose gentiment Jasper. Mon agent m’a parlé d’un casting pour des photos de lingerie. Il y a bien un corps de déesse, sous ce tailleur de mamie, non ?
– Sid, se mettre en soutif devant des inconnus ? Je donnerais cher pour voir ça ! se marre ma peste de sœur.
– Je ne suis pas aussi chiante que tu le penses, Joe !
– Ah ouais ? Prouve-le, Super Nounou !
– Bon, les clients commencent à arriver, je file, grogné-je en quittant mon tabouret.

Je suis sur le pas de la porte, prête à sortir du bar qui se remplit à toute allure, quand Joe me rattrape.

– Désolée, tu sais que je t’aime… glisse-t-elle à mon oreille.
– Ouais. Tu as parfois de drôles de façons de le montrer, mais je le sais.

Joséphine et moi, c’est le jour et la nuit. Nos visages sont identiques, mais ça s’arrête là. Notre couleur de cheveux est la première chose qui nous différencie, mais ce n’est rien comparé à nos personnalités. Elle porte à merveille son look grunge – quoique féminin et étudié. J’arbore un look passe-partout, sans grande recherche. Elle est tatouée, je tourne de l’œil à la vue d’une aiguille. Elle est instinctive, imprévisible, je préfère utiliser mon cerveau avant d’agir. Elle aime les hommes, ils le lui rendent bien, mais elle se lasse trop vite pour construire quoi que ce soit. Je me méfie des hommes, mais finis toujours par jeter mon dévolu sur le pire d’entre eux. Elle est grande gueule, rentre-dedans, casse-cou – voire plus… – je suis la même, mais en version très édulcorée. Trop, selon elle. Ma jumelle passe son temps à me dire que je suis bourrée de qualités, que mon avenir est tout tracé, que je devrais avoir le monde à mes pieds, mais que je ne sais pas saisir les opportunités. Par manque de confiance en moi. À cause de mes démons du passé. Elle a sans doute raison…

Pas totalement tort, disons…

Notre point commun : un chagrin immense, qui ne nous quitte plus depuis presque quatre mois. La disparition de notre mère, Hélène. Une fée aux yeux rieurs, au sourire mutin qui a passé sa vie à prendre soin des autres. Son métier d'infirmière, elle disait que c'était tout ce qu'elle savait faire. Joe et moi n’étions pas dupes, on savait qu’elle était bien plus que ça. Que malgré sa petite existence modeste, notre mère était un être exceptionnel. La seule personne au monde qui savait garder le sourire en toute occasion, même dans les pires moments, même à l’article de la mort. Elle qui nous a élevées seule, sans jamais nous faire payer la lâcheté de notre père. Elle dont nous étions le portrait craché et qui n’a jamais cherché à nous formater. Libre, forte, aimante, Hélène Merlin était tout pour moi. Le cancer l’a emportée, elle n’avait pas 50 ans.

Un nouveau départ dans une ville vivante, bruyante, anesthésiante, voilà ce qui a motivé notre arrivée à Londres. C’était ça ou laisser la tristesse nous ronger… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien.

Laisser Mathias sur le carreau, je dois avouer que ça ne m’a pas déplu. J’avais besoin d’un déclic, je l’ai eu en achetant un billet aller, sans retour. Le grand, le réputé, le décrié Mathias Prevost. L’homme charismatique et manipulateur qui a tenté par tous les moyens de me retenir, mais à qui j’ai finalement échappé. Après six ans de relation avec un égoïste de première, pour qui seuls la notoriété et l’argent comptent, il était temps. Un écrivain qui gagne des fortunes en étalant, ridiculisant, brisant la vie des gens ? Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. J’étais faible, naïve, un peu perdue et je me suis laissée éblouir par cette vie « de la haute ». Aujourd’hui, j’ai repris ma liberté et l’ai abandonné à ses livres-scandales, à son public de voyeurs, à ses interviews télévisées, à ses articles fielleux dans la presse. De lui, je ne veux rien garder.
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