Elle rouvre les yeux et compte, ils sont huit. Huit autour d’un cercueil, un cercueil qui a la forme d’un téléphone, comme ça se fait de plus en plus souvent. Cette mode qui consiste à donner des formes aux cercueils vient du Ghana paraît-il. Ils sont huit. Seulement huit, ne peut-elle s’empêcher de penser, Toujours cette même solitude, même dans la mort.
Prenons un pays comme...la France, au hasard. Prenons les gamins en âge de 11, 12, 13 et 14 ans, l'âge du collège et de la mode. Prenons les 3 500 000 collégiens français. Tout le monde sait multiplier par 1? Le résultat nous donne, à la louche, le nombre de smartphones chez les 11-14 ans. Il faut donc fournir. La demande est forte. Il faut faire vite. On passe les commandes en Chine, en Inde ou au Vietnam car les usines sont là-bas. Il faut faire vite. "En Chine tu peux tirer du lit 8000 ouvriers en pleine nuit et les mettre au boulot " pour que le produit soit présent dans les magasins occidentaux dès le lendemain. Tu ne me crois pas? Demande à Apple, ils ont fait ça pour la vitre anti-rayure de l'iPhone. C'est génial, non? Il faut faire vite. Ou immonde peut-être ? Je ne sais pas, je n'ai pas le temps d'y réfléchir. Il faut faire vite. Je ne revalorise jamais le salaire des gamins qui creusent dans les mines, à moins d'une émeute. Et avec quel argent ? Il faut faire vite. Il faut extraire du coltan. Pourquoi des gamins? Ils sont petits, les galeries sont étroites et surtout ils ignorent le risque. Quand on les tabasse, ils ne disent rien. Quand on leur demande de travailler vite, ils travaillent vite, ce qui est appréciable car il faut faire vite. Il n'y a pas que des gamins dans les mines, il y a des adultes aussi qui sortent ce coltan qu'on revend dans un trafic d'une opacité absolue.
Je me suis dit que c’était bien que tu rencontres mon frère : tu voulais te confronter à ta mémoire, c’est mieux que tu te confrontes à la sienne. Il n’a pas la mémoire solide pour facilement vivre tous les jours mais il peut continuer à être heureux car il a des rêves.
Elle venait de la rue d’à côté, un DJ avait posé sa sono à l’entrée du cimetière, une femme s’était mise à danser à côté de lui – aussi naturellement que si elle s’était mise à discuter. Pourquoi ne faisait-on pas ça chez lui ? Danser donnait de la légèreté à tout ce qui entourait la femme. Et la légèreté était comme les papillons : ils avaient tendance à disparaître sous le poids d’une société un peu trop affamée d’elle-même. »
Pendant une de nos pauses l'après-midi, j'ai regardé.
La photo.
Celle d'une jeune fille de douze ans environ, la même peau noire, le même sourire triste.
Sa fille.
Le premier soir on s'est couché sur le sable, à même le sol. Elle a murmuré des choses la nuit qui racontent des mondes en trop.
Des fois, je croyais que j'avais rêvé et qu'elle avait hurlé.
Ses oreilles ont soudain d’autres envies, elle veut écouter du Hightlife, de la juju ou de l’Afrobeat... ou mieux, elle veut Atomic bomb d’Onyeabor, le morceau qui a bercé son enfance et qu’elle entendait en boucle. C’est ça, elle veut s’épuiser sur les sons du synthé d’Atomic bomb.
Hier un homme est mort. Il avait sorti de la mine 12 sacs de coltan depuis son arrivée à Kamituga.
12 sacs, 96 kg de coltan, à 4$ le kilo à la sortie des mines, ça fait 384$... 384$, ça vaut!
L'iPhone il vaut 640 $, moitié prix en occasion.
La vie de cet homme qui est mort, elle vaut la moitié du prix d'un iPhone.
C'est une vie en occasion... et le reste du monde s'en fout. Mais moi je ne lui en veux pas au reste du monde car un jour m'enfuirai et je serai riche.
J'ai 11 ans et je suis né avec un rêve: Moi aussi un jour... j'aurai un smartphone!