Nous avons entre six et trente-six ans et nous venons de tous les bleds environnants. Le plus jeune s’appelle Omar et le plus vieux, c’est moi, Djibril, alias le Parisien volant. À mon âge, je passe pour un vieux schnock, dans la petite bande de traceurs, mais je suis aujourd’hui leur coach, leur entraîneur, la mémoire vivante de l’asphalte : je me balade toujours avec une minicaméra glissée dans ma poche ou fixée autour du front, et c’est moi qui réalise les films que nous diffusons sur la toile. C’est grâce à des mecs dans mon genre si le parkour est devenu si populaire dans tous les bleds de l’archipel. Depuis une dizaine d’années, le parkour a supplanté tous les autres sports ; nous sommes forcés de refuser de plus en plus de gamins désoeuvrés qui rêvent de voler sur les toits de la ville ; il n’y a plus que quelques has-been qui jouent au foot, au hand ou au volley ; la boxe et les arts martiaux, parqués dans leur ring ou sur leur tatami, ne peuvent pas rivaliser avec un sport qui a le béton pour tatami et qui fait de n’importe quel immeuble en ruine un ring géant. Les flics ont tenté de nous éradiquer : après avoir interdit les cerfs-volants, interdit les drones, interdit toutes les machines volantes que nous bricolions dans notre coin pour passer le temps, ils se sont attaqués aux hommes volants ; ils ont coffré plusieurs d’entre nous, mais à chaque tête coupée il en repoussait une dizaine. Hier, nous allions user nos baskets sur les toits de Paname, de Londres et de Berlin, nous étions prêts à tout pour rencontrer là-bas nos maîtres et apprendre d’eux les techniques les plus audacieuses pour épater les meufs et rendre fous les keufs ; aujourd’hui ce sont les traceurs de tous les pays qui rappliquent sur nos toits pour voir comment nous récrivons la ville et revisitons la discipline en défiant la frontière.