Jeunesse
Par le jeu des circonstances il était l'élève d'un architecte dans un chef-lieu de comté abritant les Assises, dirigé par les magistrats, et qui avait évolué vers les chemins de fer, le télégraphe et les journaux londoniens: mais comme il n'y habitait pas, il s'y rendait à pied, quittant un monde de bergers et de laboureurs dans un hameau situé à trois milles de là, où les améliorations modernes étaient encore considérées comme merveilleuses, et il voyait en juxtaposition particulièrement étroite les occupations rurales et citadines. A ces traits extérieurs peuvent être ajoutées les particularités de sa vie intérieure, qui pourrait presque être appelée celle d'un étudiant - triple existence inhabituelle chez un jeune homme - ce qu'il avait l'habitude d'appeler, en y repensant, une existence tressée de trois brins - la vie professionnelle, la vie d'étudiant et la vie rurale combinées dans les vingt-quatre heures de la journée, ce qui était son cas pendant ces années. De six à huit heures du matin il lisait L'Illiade, l'Enéide ou le Nouveau Testament en grec, il travaillait à l'architecture gothique la journée, et le soir il se hâtait, avec son violon sous le bras pour aller jouer des danses villageaoises.
(Thomas Hardy)
Enfance dans les fougères
J'étais assis, par un jour pluvieux, dans un pré
Couvert de luxuriantes fougères hautes sur tiges,
et rien ne m'abritait que ces hautes fougères.
La pluie tomba plus fort, et mouilla chaque fronde,
Descendit le long des tiges, et, plus bas,
forma des ruisselets rampant lentement, comme je parcourais
fièrement du regard ma maison au toit de rameaux. Et malgré
les quelques gouttes qui traversèrent bientôt la charpente verte,
je restai assis, faisant semblantque la pluie ne m'atteginait pas.
Puis le soleil perça, et il fit naître un souffle suave
emanant des fougères amollies qui séchaient.
Je dis: "je pourrais vivre ainsi, restant jusqu'à la mort";
et je m'enquis, assis dans les verts rayons:
"pourquoi faudrait-il grandir et accéder au statut d'homme,
et arpenter ce monde au bruit lointain?"
Je regarde dans mon miroir
je regarde dans mon miroir,
Et vois ma peau qui se flétrit,
Et dis: "plût à Dieu qu'il fût advenu
Que mon coeur se fût desséché de la sorte!"
Car alors, n'étant pas affligé
Par des coeurs devenus froids envers moi,
Je pourrais, solitaire, attendre mon repos éternel
Avec équanimité.
Malgré le temps, pour me faire souffrir,
Dérobe une part, laisse une part demeurer;
Et au soir de ma vie il secoue cette fragile charpente
De palpitations de la fleur de l'âge.