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Citation de veronique55


Pour la mère de Lillian, chaque élément du livre était magique, mais ce qui la ravissait le plus, c’était les mots eux-mêmes. Elle recherchait les phrases exquises et les rythmes compliqués, les descriptions qui coulaient en ondulant sur la page comme de la pâte à gâteau dans le moule ; elle lisait à voix haute pour poser les mots dans l’air, où elle pouvait les entendre mais aussi les voir. « Oh, Lilly, disait-elle, écoute-moi celui-là. Il sonne vert, tu ne trouves pas ? » Et Lillian, qui était trop jeune pour savoir que les mots n’étaient pas des sons, écoutait les syllabes fondre sur elle et se disait : Alors c’est ça, le son du vert.
Mais après le départ de son père, les choses changèrent, et Lillian en vint à se percevoir de plus en plus comme l’assistante muette et complaisante d’une collectionneuse de mots et de tournures ou, lorsqu'elles étaient en public, comme alibi de sa mère en société. Les gens souriaient devant cette femme qui nourrissait l'imagination littéraire de sa fille, mais Lillian ne se trompait pas. Dans son esprit, sa mère était un musée de mots; elle, Lillian, était une annexe, nécessaire lorsque la place venait à manquer dans le bâtiment principal. Pas étonnant, donc, qu'en atteignant l'age d'apprendre à lire elle se soit braquée. Ce n'était pas seulement par défi, même si, dès ses premiers jours au jardin d'enfants, elle avait été prise de bouffées d'agressivité envers les livres, qui la laissaient à la fois désemparée et animée d'une légère sensation de puissance. Mais il n'y avait pas que ça. Dans le monde de Lillian, les livres étaient des couvertures, et les mots, du son et du mouvement, pas des formes. Elle n'arrivai pas à faire le lien entre les rythmes qui s'étaient insinués dans son imagination et ce qu'elle voyait sur le papier. Les lettres gisaient sur la page, disposées avec une précision impitoyable. Il n'y avait aucune magie sur le papier, Lillian le voyait bien; or, si cela ne faisait qu'accroître le respect qu'elle avait pour les capacités de sa mère, cela ne stimulait en rien son intérêt pour la lecture. Ce fut au cours de ses premiers accrochages avec la lecture que Lillian découvrit la cuisine.
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