Ce fut à l'hôpital Tenon, où la jeunesse lettrée se rendait, comme en pèlerinage, auprès de Paul Verlaine, que je fis, un dimanche de l'été 1886, la connaissance d'Anatole Baju. L'assistance était nombreuse. Verlaine ne pouvait se lever. Sur son lit traînait un journal en grossier papier gris. Quelqu'un le prit et en lut à haute voix le titre : le Décadent, en se moquant. Encouragé par l'acquiescement de certains sourires, il demanda étourdiment : «Quel est l'imbécile qui a osé ramasser ce titre ridicule? — L'imbécile, c'est moi ! » répondit une voix nette, tranchante comme un'défi. Je me tournai et tout Baju m'apparut alors, ramassé, âpre, têtu, avec, dans une petite figure vieillotte, la flamme d'un regard vibrant. L'interlocuteur, dérouté, revint à plus de courtoisie et l'on discuta sur l'opportunité du mot décadent.