SALAMMBÔ (seule). Qui me donnera, comme à la colombe,
Des ailes pour fuir dans le soir tombe?
Qui m'emportera libre de tourments,
D'angoisses mortelles,
Vers des dieux plus doux, des cieux plus cléments?
Qui me donnera, colombes vos ailes?
Pareille à la victime enchaînées à l'autel,
Qui tremblante et parée attend le coup mortel,
J'attends!... je frémis!!... quel abîme
Devant mes pas va s'ouvrir?...
Je ne sais rien sinon que je suis la victime,
Et que bientôt je dois mourir.
Qui me donnera, comme à la colombe,
Des ailes pour fuir le soir qui tombe?
Qui m'emportera libre de tourments,
D'angoisses mortelles,
Vers des dieux plus doux, des cieux plus cléments?
Qui me donnera, colombe, vos ailes?
HAMILCAR. Vous faites détester partout la foi punique!
Pour briser notre République,
Le monde s'unira dans un immense effort;
Des peuples accourront jusque des Atlantides!
Les libyens viendront de leurs déserts arides,
On verra d'Occident descendre les Numides,
Les nomades du Sud, et les romains du Nord;
Tu tomberas, Carthage!
LES PRETRES DE TANIT (des lyres à la main). Tanit, déesse austère,
Qui verse sur la terre
Ton lait et ta lumière!...
Tanit, astre changeant
Dans l'azur dirigeant
Ta nacelle d'argent!...
Tanit, ô bonté sage,
Qui vis dans ton image
Aux autels de Carthage!
Tanit, verse sur nous
Dans des rayons plus doux
Des regards sans courroux!...
SALAMMABÔ. O ciel! me voilà seule en ce lieu redoutable.
La déesse est présente et sous sa majesté
Qui m'accable
Mon cœur frémit épouvanté!
Qu'exiges-tu, Tanit, de l'esclave tremblante
Qui t'implore et t'adjure, embrassant ton autel?
Que me veulent ces voix dans un doute cruel
Plongeant mon âge éperdue, hésitante?
Que ne puis-je au sein de la nuit
Et dans les flots purs des fontaines,
Dans le rayon qui passe et fuit,
Dans la brise aux tièdes haleines,
M'anéantir, glisser, couler,
Et jusqu'à toi, mère adorable,
Parfum, rayon, souffle impalpable,
Dans l'éther, dans l'azur, voler!...
Vœux superflus!... mon âme est liée à la terre!
Tanit, malgré ta volonté,
Le prêtre a repoussé mon ardente prière,
Je n'ose le franchir, le seuil du sanctuaire,
Et je ne verrai rien de ta divinité!...
SHAHABARIM. La déesse a rempli tout l'azur de sa gloire!
Ouvrons donc les portes d'ivoire
Du sanctuaire redouté,
Adorons le manteau que Tanit a jeté
Sur sa mystérieuse image,
Le Zaïmph qui, gardien des destins de Carthage,
Est une part de la divinité!
LE CHOEUR. Nous voulons boire aux coupes d'or!...
L'ingrate cité nous outrage,
Elle tombait, sans notre effort!
Nous avons, pour sauver Carthage,
Bravé le feu, le fer, la mort!
Nous voulons boire aux coupes d'or.