D'ailleurs, qui nous permet de décréter qu'un peintre voit trop bleu comme le grand coloriste Monticelli ou trop jeune, comme Van Gogh? Qui nous permet de critiquer une sonate conçue en sol plutôt qu'en fa ? nous ne jugeons que par nos sens et ne devons pas décider a priori qu'ils sont les seuls à percevoir le vrai ton des choses.
Le « Père Martin» qui me devina novice, fut un peu surpris de mon choix; il m'en complimenta, et me dit: « Il y a toujours eu dans la vie d'un grand artiste un moment où un homme comme vous ayant du goût et du flair, peut acquérir un chef-d'oeuvre pour cinq cents francs ». Et, comme preuve, il me conduisit dans sa chambre à coucher et me fit lire, encadrée et accrochée, une lettre de J. F. Millet. Le grand peintre le remerciait de lui avoir de temps à autre prêté un louis !. L'homme qui avait vu vendre son Angélus huit cent mille francs or (quatre millions papier d'aujourd'hui) avait eu souvent besoin d'un louis !
Ce fut pour moi une révélation soudaine lorsque, pour la première fois, je vis une collection de tableaux impressionnistes. C'était vers 1882, j'avais environ vingt-cinq ans, et j'allai un jour chez un ami de mon père, le Docteur Filleau, qui s'occupait avec lui de faire triompher dans le 3e arrondissement la candidature de notre ami Eugène Spuller, le fidèle lieutenant et conseiller de Gambetta, qui devait devenir notre député.
Et ceci me fait croire encore que l'étude, même l'ébauche artistiquement interprétée, contient peut-être plus de vie, plus de beauté, et disons-le, plus d'art, que l'oeuvre parachevée et souvent refroidie par trop d'intelligence et de métier, par la haïssable virtuosité.