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Citation de Dorian_Brumerive


Or, maître Buyk, d'ailleurs devin fort habile et fort estimé à bord, participait, quant au moral, de la froide dureté du parquet de fer qui couvrait son plancher.
Voyez plutôt :
Sur un coffre assez bas un homme accroupi tenait sa tête dans ses mains. C'était maître Buyk.
Il portait pour tout vêtement un pantalon de toile grise, et pas de chemise, selon son habitude, vu la chaleur étouffante qui règne dans cet espace étroit et presque privé d'air et de jour.
Il paraissait d'une taille moyenne, maigre, mais merveilleusement musclé. La lueur du fanal qui éclairait la fosse ne jetait qu'une clarté douteuse et rougeâtre.
Il leva sa tête. Ses cheveux étaient gris et rares; ses yeux creux et ternes; ses pommettes saillantes; et par négligence il portait sa barbe longue.
- Misère ! cria-t-il d'une voix forte.
On ne répondit pas.
- Misère ! Misère ! Misère !...
Silence.
- Misère ! Misère ! Misère ! Misère !
À la quatrième fois, une voix faible et éloignée répondit avec un accent de terreur :
- Me voilà, me voilà, maître... Me voilà...
Et la voix approchait en répétant toujours :
- Me voilà ! Me voilà !
Enfin, un enfant de sept à huit ans sauta d'un bond dans la fosse. C'était Misère.
Maître Buyk était toujours assis. Il fit un signe de la main.
Misère sentit un léger frisson courir par tout son corps en allant prendre dans un coin de la porte une espèce de martinet fait de plusieurs houts de corde à noeuds bien serrés. Il le présenta au maître.
Puis il se mit à genoux et tendit le dos.
Et c'était pitié que ce pauvre corps maigre, chétif, souffreteux, jaune et étiolé.
Maître Buyk parla :
- Je t'ai appelé quatre fois, et tu n'es pas venu. Et quatre coups fortement appliqués fouettèrent l'enfant, qui ne poussa pas un cri, pas une plainte, se releva, prit le martinet, dont il s'essuya les yeux sans que le maître pût le voir, le remit au clou, et revint se planter debout devant le maître.
- À présent, dis-moi : Pourquoi as-tu tardé autant ?
- Maître, on me battait là-haut.
- Tu mens ! Tu jouais.
- Je jouais ! Maître... Je jouais ! Mon Dieu ! Je jouais ! Qui donc voudrait jouer avec moi ? dit le triste et chétif enfant avec un accent d'amertume indéfinissable. Les autres mousses me battent quand je leur parle; ils me prennent mon pain, ils m'appellent rat de cale; et tout à l'heure, maître, on m'a fouetté là-haut, parce qu'ils disent que dix coups de fouet à un mousse donnent du bon vent. Oh ! Maître ! Allez, vous m'avez bien nommé... Misère ajouta-t-il en soupirant, car il n'osait pleurer; et tout son corps meurtri et bleu tremblait comme la feuille; la chaleur était étouffante, et il avait froid.
- Quel temps fait-il donc ?
- Depuis hier, il vente du nord-ouest, maître.
- Et le vent du nord-ouest souffle toujours ? demande Buyk d'une voix tonnante.
- Oui, maître, dit l'enfant tout peureux.
- Il souffle du nord-ouest ! répéta le maître tout pensif.
- Oui, maître.
- Qui te parle ?
Et ces trois mots furent accompagnés d'un soufflet.
Maître Buyk tomba dans une profonde méditation qu'il n'interrompit que pour faire des figures et des signes avec des cailloux, des bouts de cordes et son couteau.
L'enfant ne bougeait; immobile, craignant de s'attirer de nouveaux coups, retenant son haleine. Et en vérité, Misère était bien à plaindre. Ce malheureux avait été embarqué à bord par pitié; sa mère était morte à l'hôpital, et maître Buyk, l'ayant pour ainsi dire adopté, en avait fait son mousse, et lui faisait bien, je vous assure, payer le pain qu'il ne mangeait pas toujours, le pauvre enfant !
Enfin Misère était si chétif, si souffrant, que, pour cet étre maladif, il eut fallu de l'air, du soleil, des jeux d'enfant, bruyants et animés, une bonne vie joyeuse et insouciante, du repos et du sommeil. Lui, au contraire, ne quittait la cale que le moins possible, tant il redoutait les autres mousses, qui le pourchassaient, le tourmentaient et le battaient. Aussi le seul plaisir du misérable, c'était la nuit, pendant que son maître dormait, de se glisser comme une couleuvre sur le pont, de monter sur les bastingages, et de là, dans les porte-haubans.
Alors, sa pauvre figure souffrante s'épanouissait, frappée, ranimée qu'elle était par ce bon air marin; il éprouvait un bonheur d'enfant à voir les lames bondir, bouillonner, et se briser sur l'avant du navire en l'inondant d'une clarté phosphorescente; à regarder les étoiles briller dans le ciel, à écouter Ja voix de la mer, et à rester une heure sans être battu.
Mais ces momens de vif plaisir étaient courts et rares, tant il craignait de ne pas répondre à la voix terrible de maître Buyk. Aussi, par instants, le faible cerveau de ce malheureux se dérangeait. Alors, pâle et livide, un affreux sourire sur les lèvres, agrandissant ses yeux d'une manière horrible, il disait de sa petite voix grêle et stridente :
- Le rat de cale a de bonnes dents, de bonnes dents, et il rongera la noix.
Et en prononçant ces paroles inintelligibles, il tournait sur lui-même avec une effrayante rapidité; puis enfin, épuisé, il tombait dans un sommeil léthargique, que son maître interrompait à grands coups de corde, le rappelant ainsi à lui-même.
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