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Citation de Dorian_Brumerive


- Écoutez-moi, Paul. Supposez par la pensée un homme d'un génie immense, d'une beauté parfaite, d'une richesse royale, d'une âme sublime. Eh bien ! Paul...
- Hélas, monsieur ! Faut-il donc tout cela pour être aimé ?
- Il faut tout cela, Paul, pour se voir souvent sacrifié à un être dégradé, stupide et difforme.
- Oh ! Monsieur ! C'est une cruelle raillerie !
- Je ne raille pas, je parle vrai ! Paul, il n'est pas donné aux passions de l'homme ou de la femme de s'arrêter à un terme, tel complet qu'il soit; l'activité de l'esprit humain ne s'éteindrait pas même dans la possession d'un être idéal. Ainsi, Paul, une femme arrivant à rencontrer une perfection, ne s'en tiendra pas là. Par cela même qu'elle n'aura plus rien à chercher au-dessus, elle cherchera au-dessous, et se jettera dans les contrastes. Or, une fois aux contrastes, les plus tranchants sont les meilleurs; c'est l'histoire de la femme de Joconde : car sous un vernis de fadeur et de légèreté, il y a là une vérité bien profonde et bien vraie, soit qu'on l'applique au physique ou au moral. Avez-vous lu Joconde, Paul ?
- Non, monsieur.
- Eh bien ! Joconde était un prince riche, beau, aimable et spirituel. Il quitte sa femme pour faire un voyage; elle était encore chaude de ses baisers d'adieu qu'il revient à l'improviste, et la trouve couchée avec un laquais crétin, idiot et difforme.
C'est, comme je vous le disais, l'irrésistible besoin des contrastes. C'est encore cet ancien symbole du fruit défendu, appliqué au moral, c'est encore l'amour de l'imprévu, du bizarre, qui leur fait mettre des pagodes et des monstres sur leur cheminée ou dans leur lit.
- Oh ! C'est horrible ! Horrible ! dit Paul en cachant sa tête dans ses mains.
- Et je vous le répète, ce que je dis de la difformité physique, s'applique bien mieux encore à la difformité morale; mais c'est une recherche.
Pour en revenir à l'homme complet que nous supposons, figurez-vous, Paul, notre type idéal, notre grand homme, amant passionné d'une femme jeune et belle : mais cette femme aura mille moyens de fouler aux pieds cet homme, dont la supériorité l'écrase et la blessera toujours; et elle les emploiera. Car il n'y a chez la femme qu'un sentiment profond et inaltérable, c'est celui de l'amour-propre.
Songez donc que d'un baiser, elle pourra faire un sot, un crétin, plus grand que lui grand homme; plus grand, surtout à ses yeux à lui, qui se verra sacrifié, qui verra un crétin jouir du bonheur qu'on lui refuse.
Alors, Paul, voyez les tortures, écoutez les cris, les sanglots de ce grand homme, qui aime avec plus de frénésie encore depuis qu'on le délaisse ! Le voilà qui renie sa gloire, son nom célèbre, son génie, sa beauté, sa richesse; le voilà qui se maudit, lui Byron, lui Bonaparte, lui Dante, lui... Que sais-je, moi ? Le voilà qui s'abhorre, le voilà, par l'infernal caprice de cette femme, amené, lui si grand, à donner avec délices son sang, son âme, s'il le pouvait, pour être stupide pendant une heure, une seconde, toute sa vie ! Puisque sa maitresse aime les gens stupides, et qu'elle n'aime plus les grands hommes !
Et vous croyez, Paul, qu'il existe une femme capable de résister à la jouissance de se dire : "Par un caprice frivole, caprice né en lissant mes cheveux ou en chiffonnant une écharpe, moi, moi fémine faible, obscure et sans nom, j'ai amené l'homme qui fait l'orgueil, l'éclat et la gloire d'une nation, d'un monde, - d'un univers ! - à maudire ces dons divins, l'envie des hommes, l'admiration des autres femmes; à les maudire et à crier les mains jointes, à genoux, les yeux en larmes : Mon Dieu ! Mon Dieu ! Fais-moi donc aussi abject que tu m'as fait puissant; et elle m'aimera peut-être !" ?
Non, non, aucune fille d'Ève ne résisterait à cette tentation, jeune homme.
- Mais, au nom du ciel, que faire donc ? Que croire ?
- Un vieux vers hindou le dit : "S'attendre à tout, pour ne s'étonner de rien".
- Mais c'est le doute, cela; c'est l'incrédulité qui ronge le cœur.
- Oui, Paul; tant qu'on a un cœur. Mais après ? Mais quand on n'en a plus, de cœur; quand, flétri, desséché, il est mort, insensible et froid, on défie le monde et ses déceptions : car alors ce cœur n'est plus qu'un cadavre que l'on expose aux tortures sociales, - et l'on rit. -
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