L'orthophoniste m'a affirmé que nous avons trois mémoires. Il y a la mémoire de l'immédiat, qui est la plus fragile, car ça s'envole. D'où mon expression... Mes pensées sont des papillons. Il y a la mémoire ancienne qui est gravée dans le disque dur depuis longtemps et n'en bouge pas trop. Et il y a enfin la mémoire des évènements très agréables ou très pénibles qui laissent des marques comme les pieds dans le sable. Cela finit par s'effacer. Mais combien de temps ça reste? Je ne sais pas, je ne sais pas... Jusqu'à ce la mer passe?
Est-ce que, dans la tête, on a la marée qui va et vient?
La marée, c'est peut-être l'addition de toutes les informations et de toutes les pensées dont on a besoin dans une journée pour survivre.
Personnellement, je suis convaincue que la musique guérit. Sans ça, je ne tiendrais pas. Cela me fait l'effet d'un "brush up" de la mémoire, ça réveille des souvenirs, des associations d'idées, cela m'apaise et me demande peu d'efforts.
"Ce que j'ai perdu avec cette maladie, c'est la notion du temps." Elle la trouve "élastique", désormais, cette idée du temps. "Ce peut-être très loin, ce peut être très près. Mais ça ne respecte pas les critères habituels de la réalité. Je pense que c'est le parcours de l'information au cerveau qui est lent au lieu d'être instantané. Parfois, ça n'atteint pas le disque dur, ça se perd." Résultat : le temps lui paraît "irréel", "impalpable". Il se joue d'elle, comme à cache-cache, et l'abandonne aux vertiges de l'intemporalité.
Le plus affolant dans cette maladie, c'est l'angoisse de la différence, différence par rapport aux autres, différence avec la conscience du fait qu'avant on savait et que maintenant on ne sait plus, entre ce qu'on a été et ce qu'on est. Je suis à la fois lucide et harassée par cette lucidité. Je ne sais pas comment ça va évoluer. Quand j'y pense, c'est horrible.
Ce n'est pas un retour à l'enfance, c'est un retour à rien du tout, comme dans l'expression anglaise, "in the middle of nowhere", au milieu de nul part.
Même lire m'est difficile, je vous l'ai dit ? J'étais boulimique de lecture. Maintenant, souvent, je regarde les mots et je ne parviens pas à les identifier. C'est pour moi une langue étrangère que j'ai du mal à interpréter, un comble pour moi qui ai réalisé tant de traductions.
Vous savez, quand on a cette maladie, on croit qu'on est à l'ouest, qu'on n'est pas normal. Il y a toutes ces légendes stigmatisantes. Qu'on est dingo, zinzin... Alors, je me cache. Pour préserver mon image. Longtemps, je n'en ai parlé à personne.
[...] plus sûre de rien ni de personne. Et surtout pas de moi-même. C'est le problème de cette maladie. On ne sait pas ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.
Ce n'est pas un retour à l'enfance, c'est un retour à rien du tout, comme dans l'expression anglaise, "in the middle of nowhere", au milieu de nulle part.
Mes pensées sont des papillons .Il y a la mémoire ancienne qui est gravée dans le disque dur depuis longtemps et n'en bouge pas trop. Et il y a enfin la mémoire des évènements très agréables ou très pénibles qui laissent des marques comme les pieds dans le sable.Cela finit par s'effacer. Mais combien de temps ça reste ?Je ne sais pas, je ne sais pas...Jusqu'à ce que la mer passe ?
Cette maladie est rongeuse, comme si on m’enlevait des peaux de mémoire qu’on m’amputait lentement. C’est une sorte de supplice.